L’Insoumis et la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon

Constat largement partagé dans l’opinion publique, le candidat de La France insoumise a fait, de loin, une meilleure campagne présidentielle en 2017 que ses concurrents des deux bords, qu’il s’agisse de Marine Le Pen, d’Emmanuel Macron, de François Fillon ou du pauvre Benoît Hamon qui, accroché avec l’énergie du désespoir à son revenu universel, n’a guère dépassé les 6,35 % de suffrages au soir du premier tour… Un échec pour le PS qui fit le miel de Macron comme de Mélenchon qui, tous deux, siphonnèrent allègrement son électorat : les libéraux pour le premier, les fonctionnaires et les nouvelles couches populaires issues de l’immigration pour le second.

La réussite de Mélenchon, immortalisée durant ses trois mois de campagne par le documentariste Gilles Perret, laissait donc présager, avec L’Insoumis, un film passionnant à suivre, à l’image de 1974, une partie de campagne, le documentaire de Depardon qui suivit le parcours de Valéry Giscard d’Estaing pendant la présidentielle de 1974.

De fait, le film nous permet de découvrir (ou non) l’homme derrière le politique, un hâbleur souriant et sentimental, romantique et lyrique, pétri d’une culture antique et méditerranéenne qu’il feint de maîtriser tout à fait. Loin, en tout cas, de la caricature d’un dirigeant soviétique rigide, polaire et sanguinaire, vendue par les médias. Le film de Gilles Perret nous montre, au contraire, de meetings en déplacements, l’ambiance sereine qui régna au sein de l’équipe de campagne de Mélenchon. Les coups de gueule exprimés çà et là par l’Insoumis n’ayant eu pour cibles qu’une poignée de journalistes de caniveaux mimant complaisamment la crainte d’un retour à la guillotine, à l’image du très chafouin Patrick Cohen.

C’est donc sans grande difficulté que Mélenchon parvient, tout au long du documentaire, à mettre les rieurs de son côté afin d’humilier ses interlocuteurs et de les confondre dans leur malhonnêteté intellectuelle. Un spectacle jouissif, disons-le, et convenu à la fois… Car le film eût sans doute gagné à explorer davantage le terrain des idées et les angles morts du logiciel de pensée mélenchonien à l’origine de son échec électoral. À savoir l’absence de réponses face à l’immigration incontrôlée et à la partition inéluctable du pays, mais également face à la libéralisation prévue de l’euthanasie et des drogues, face à la marchandisation des enfants avec la GPA, à la chosification de l’homme, au changement de sexe et au transhumanisme, face à la robotisation imminente du monde du travail et à la mise au chômage de dizaines de milliers de salariés… Sur ces sujets fondamentaux auxquels tout antilibéral conséquent a voix au chapitre, Mélenchon est demeuré silencieux d’un bout à l’autre de la campagne présidentielle. Peut-être cela explique-t-il en partie les raisons de son échec ? L’absence de réflexion du film dans le domaine des idées nous apparaît avec évidence comme la conséquence directe d’un parti pris hagiographique – ce, jusque dans le titre du film – faisant fi de toute distance critique vis-à-vis du sujet.

Par ailleurs, L’Insoumis accrédite malgré lui le procès en autocratie qu’intentent bien souvent les journalistes à Jean-Luc Mélenchon. Les membres de son équipe de campagne ne sont jamais sollicités par le réalisateur et, jamais, n'ont l'occasion d'exprimer face caméra leurs impressions sur la présidentielle ni sur le candidat qu'ils soutiennent. Mélenchon porte seul le documentaire comme s’il portait seul sa campagne. Une posture finalement très gaullo-bonapartiste, en phase avec la Ve République…

Le film termine sur un mot d'espoir de Mélenchon prononcé publiquement le soir de sa défaite auprès des journalistes, permettant ainsi au réalisateur d'éluder avec soin les ambiguïtés de sa position durant l'entre-deux-tours lorsque le leader de La France insoumise refusa d'appeler ouvertement à faire barrage à Marine Le Pen. Une ambiguïté qui lui fut souvent reprochée par sa famille politique et qui fit polémique au sein de la caste médiatique.

L’Insoumis se révèle en définitive un documentaire gentillet et inoffensif, qui ne prend jamais de risque et qui méritait aussi bien une diffusion télé…

2 étoiles sur 5

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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