On invoque souvent la liberté comme on nomme haut et fort l’objet d’une peur, pour se rassurer en la tenant à distance. Et, finalement, on préfère la servitude volontaire au vertige qu’elle inspire.

La liberté fait peur aux progressistes comme aux conservateurs, aux collectivistes comme aux individualistes. On constate ce syndrome dans les sociétés organisées à l’extrême, en apparence tolérantes mais à bout de souffle de leurs propres logiques jusqu’à autocontradiction, de même que dans les pays autoritaires sous-développés.

C’est que, au nom du totem de l’ordre, nécessaire au contrôle social des foules, le tabou de la liberté est sacrifié sur l’autel de deux canons institutionnalisés : la sécurité et l’égalité.

De fait, on tolère les dérives liberticides dans des sociétés engoncées dans des fatras de lois superfétatoires, parfois stupides, voire criminogènes. Les citoyens sont tétanisés par la Justice politique et la guillotine numérique de réseaux qui n’ont rien de social et clouent le bec de leurs contradicteurs aussi sûrement qu’il y a 2.000 ans, les Romains crucifiaient les déviants politiques. Au point qu’on laisse le gendarme GAFA, sous-traitant commode quoique contribuable récalcitrant des appareils d’État sécuritaires, interdire des expressions comme « dérive liberticide ». Quand bien même celle-ci est démontrée, elle est rejetée au nom d’une supposée incitation à la violence. Une aubaine pour les tyrans !

En réalité, à un certain degré, la liberté est incompatible, incompossible, avec la sécurité, et il faut réduire l’une pour augmenter, voire préserver l’autre. D’où les politiques sécuritaires liberticides, déresponsabilisantes et infantilisantes, des États prétendument providentiels. Misant sur notre besoin primal de sécurité, ils prétendent tout « garantir, assurer, prévoir », jusqu’à graver le principe de précaution dans le marbre de la Constitution, paralysant l'initiative individuelle ou locale là où la vertu de prudence suffirait, mais émanciperait.

À un certain degré, la liberté est également incompatible, incompossible avec l’égalité. C’est ce qu’avait observé avec bon sens Alexandre Soljenitsyne, condamné à l’effacement mémoriel : « Les hommes n’étant pas dotés des mêmes capacités, s’ils sont libres, ils ne sont pas égaux, et s’ils sont égaux, c’est qu’ils ne sont pas libres. » Constat insupportable pour les adeptes de l’égalitarisme.

Bien avant Orwell et son inspirateur Huxley, le courant américain « panoptique » s’est inspiré du concept architectural pénitentiaire imaginé à la fin du XVIIIe siècle par le philosophe utilitariste Jeremy Bentham. Modèle de société « idéalement efficace » où chacun est observé en permanence sans même s’en rendre compte, il a profondément inspiré les philosophes américain Noam Chomsky (1), français Michel Foucault (2) et Gilles Deleuze (3). On y est !

Qu’en cette fin de torpeur estivale, début d’un labeur automnal, la liberté continue de guider nos pas…

(1) La Fabrication du consentement, Noam Chomsky, broché, 2008
(2) Surveiller et Punir, Michel Foucault, Gallimard, 1993
(3) Post-scriptum sur les sociétés de contrôle, Deleuze, L'Autre Journal, n° 1, mai 1990

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03 septembre 2019 à 19:58

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