Les cancres

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Sans doute n’y a-t-il pas moins de lecteurs que par les siècles passés. On peut même penser que leur proportion est plus importante, l’analphabétisme et l’illettrisme ayant reculé par rapport au XIXe siècle et même jusque avant 1940. Une chose a changé, cependant, entraînant des bouleversements radicaux. Au XIXe siècle, le ton était donné par le petit nombre de ceux qui lisaient tandis que les masses suivaient leurs tendances. À l’école, les enfants n’avaient d’yeux que pour les sommets de la littérature, de la peinture ou de la musique. Le travail des maîtres était moins ingrat, il accompagnait les regards dans leur élévation, tandis que les cancres étaient tenus en respect par leur propre insignifiance.

C’est cela qui a changé : la proportion de cancres n’est pas plus importante, mais leur vacarme s’est installé en maître.

Les cancres ont trouvé à la télévision des émissions et des produits culturels à leur portée, des séries roboratives, des fictions binaires, des shows de télé-réalité, etc. De quoi leur donner de l’importance et de la visibilité, ignorant que leurs petits culs sexy faisaient office de talent. Plus nombreux, représentés par des partis politiques qui savent les caresser dans le sens du poil, les cancres donnent désormais le la. Ils confondent parodie et attaque ad hominem. Ils encensent et excommunient, ils définissent les canons du goût et de la bienséance.

Ils mettent à l’index Homère, Tolstoï ou Flaubert pour de prétendues raisons de patriarcat abusif ou de sexisme. Ils déprogramment Le Lac des cygnes, de Tchaïkovski. Ils dénient à une auteur blanche la capacité de traduire une poétesse noire. Le titre d’un roman d’Agatha Christie leur paraît raciste et ils en exigent la modification. Ils récusent Conrad et Stevenson au motif d’un prétendu colonialisme. Ils déconstruisent l’Histoire, profanant les statues de Colbert ou de Richelieu. Ils s’inventent de nouvelles égéries, de nouveaux héros, n’hésitant pas à porter au pinacle des délinquants.

Ils font main basse sur les prodigieuses mannes de deniers publics qu’ils allouent à des productions devant respecter un certain nombre de critères ethniques, diversitaires ou paritaires. Ils imposent dans l’espace public les artefacts laids de Koons ou McCarthy. Ils blasphèment avec la désinvolte de potaches mais, pleutres, prennent soin de ne cibler que le christianisme trop habitué à tendre l’autre joue. Ils transforment la culture en production culturelle assaisonnée de leurs mantras militants. Ils font d’une cérémonie des César une mascarade scatologique et vulgaire. Ils salissent tout ce qu’ils touchent, sûrs de leur impunité, avec l’absence de vergogne de qui a érigé sa propre médiocrité en référence universelle.

Roland Goeller
Roland Goeller
Cadre des transports à la retraite, écrivain

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