Le Président a parlé, mais pas à nous !

Benjamin Griveaux

Mercredi à 15 heures, Benjamin Griveaux lance un "au revoir à toutes zetàtous" soulagé, après son compte rendu hebdomadaire du Conseil des ministres, exercice périlleux en ces jours de révolte populaire.

Une journaliste lui a posé la question : "Pourquoi le Président Macron ne parle-t-il pas directement aux gilets jaunes ?"

D'abord, il croit utile de préciser, un brin condescendant, qu'il ne s'agit pas de "gilets jaunes", pas d'objets, donc, mais bien de "gens portant des gilets jaunes", ce qui a obligé les journalistes à rallonger ensuite leur temps de parole pour parler de "gens qui portent des gilets jaunes" et non de "gilets jaunes".

Trop fort.

Puis il fait cette réponse extraordinaire : « Le Président parle aux gilets jaunes. Hier, au Puy-en-Velay, par exemple. Mais il ne médiatise pas ces entretiens, par pudeur. » Pas sa propre pudeur, non, celle des gilets jaunes "qui ne veulent pas forcement que leurs enfants les voient en direct à la télé dire qu'ils n'ont pas assez d'argent pour leur faire des cadeaux à Noël".

Tiens, nous, on croyait que ça n’avait pas été médiatisé parce qu'ils lui hurlaient à travers une vitre ouverte et vite refermée : "Macron démission".

La journaliste insiste : "Mais ils veulent qu'on les entende dire ça, c'est même pour ça qu'ils manifestent."

Le suave porte-parole présidentiel en a marre et laisse, un bref moment, transparaître son agacement derrière son masque de douceur et d'humilité.

Puis il finit par lâcher : "Macron ne parle pas d'abord au peuple car nous sommes dans une démocratie parlementaire représentative et, donc, c'est à l'Assemblée, dès cet après-midi, que se situera le débat."

Personne pour lui rappeler que le Président, dans la Constitution de 1958, est "la clé de voûte des institutions" et a instauré - via le référendum sous de Gaulle - une ligne directe avec le peuple ?

Personne. Alors il continue : "On ne peut tout de même pas faire l'impasse sur l'élection de 400 députés !"

C'est sûr, ces députés marcheurs godillots, il a fallu les dénicher, et maintenant, il faut s’en servir !

Mais pas forcement les considérer...

Car c’est alors qu’ils s’apprêtaient à voter comme un seul homme le moratoire de six mois proposé par Édouard Philippe, en fin d’après-midi, ce même mercredi, que le coup de théâtre se produisit.

François de Rugy, ministre de l’Écologie, est averti par téléphone par le Président lui-même qu’il va lever les taxes purement et simplement, et non pas pour six mois !

Le Président a donc enfin parlé. Mais pas à nous.

Griveaux savait, et l’avait dit à demi-mot : « C’est à l'Assemblée, dès cet après-midi, que se situera le débat. »

Mais est-on bien dans la « démocratie parlementaire représentative » dont il parle ?

La Ve République est un régime « semi-présidentiel » : le Premier ministre est à la barre, mais le Président est le capitaine. Il voit plus loin, c’est lui qui décide. Ainsi en a voulu de Gaulle, son concepteur.

C’est aussi une « monarchie républicaine » : au Parlement réuni, le roi fait dire qu’il a accordé à son peuple ce qu’il demandait.

Mais le peuple ne veut pas qu’on lui parle de loin.

S'il ne peut pas voir de ses yeux le roi s’incliner devant ses volontés, il sera tenté de défoncer à nouveau, samedi, les barrières des Tuileries et du Palais-Royal.

Car la taxe carbone n’était que l’étincelle : le feu est mis aux poudres, et l’armée fluorescente fraîchement levée ne s’arrêtera pas en chemin.

Catherine Rouvier
Catherine Rouvier
Docteur d'Etat en droit public, avocat, maitre de conférences des Universités

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