Le livre de l’été : La Reconquête (18)

reconquete

Pour lire le 17e épisode : ici.

Seine-Saint-Denis, 20 h 25

Ogras n’avait plus le choix, il devait rallier les leaders de l’Union des organisations islamiques de France, sans quoi il perdrait tout. Il était paniqué à l’idée de ce qu’il s’apprêtait à faire mais ses commanditaires ne lui laissaient pas le choix. En arrivant dans la ville, il vit des dizaines de milliers de personnes dans les rues. Son chauffeur peinait à traverser les rangs des manifestants. Arrivé sur la place centrale, il descendit de sa voiture et continua à pied vers le podium ou l’imam Rachid Abou Houdeyfa haranguait la foule. En avançant, Ogras sombra dans ses pensées. Il était fasciné par son échec. Que Castaner n’ait ni le charisme ni l’intelligence politique pour battre un candidat sérieux, c’était évident, mais Marion Maréchal était une enfant, formée par l’extrême droite, proche des identitaires… Elle aurait dû n’avoir aucune chance, même face à l’héritier de Macron.

Dès le début de la présidentielle, il avait été contacté par des membres de l’UOIF téléguidés par l’Arabie saoudite, le Qatar ou l’Algérie. Ils avaient conscience de l’échec potentiel de l’élection mais ils voulaient préparer l’après-présidentielle. La possibilité qu’avait Ogras de devenir bras droit de Castaner était une occasion inespérée pour l’UOIF : enfin un haut dignitaire musulman était considéré comme suffisamment républicain pour devenir un potentiel Premier ministre. Il avait donc tout fait pour devenir une figure respectable aux yeux des Français durant la campagne, représentant modéré d’un islam de France ouvert et tolérant. Il avait été jusqu’à critiquer fermement les imams fondamentalistes et avait fait part de ses réticences quant à une immigration trop forte. Ses commanditaires l’avaient prévenu : une fois l’échec de Castaner officiel, si échec il y avait, il devrait se rendre immédiatement en Seine-Saint-Denis, l’une des banlieues les plus symboliques de France, pour demander à Marion Maréchal de respecter ses coreligionnaires. Ce qu’il ne savait pas, c’est que 1.500 imams et leaders salafistes préparaient le terrain en parallèle.

Ogras fut finalement rejoint par deux colosses qui avaient dû le voir arriver, ils le guidèrent jusqu’au podium au pied duquel il retrouva Amar Lasfar, l’un des leaders musulmans en France. Ce dernier le regarda avec une pointe de mépris et lui dit sèchement : « Voici ce que tu dois lire, tu seras sur scène dans quelques minutes, toutes les caméras du pays seront braquées sur toi et ton discours sera projeté en direct sur des écrans géants dans 1.900 mosquées et sur les places de 700 villes. Tout repose sur toi, ne nous trahis pas. » Ogras fut sidéré par le ton impérieux de Lasfar, il s’apprêta à lui répondre mais ce dernier lui mit un papier dans les mains et s’éloigna. Il commença à lire le texte qui lui avait été rédigé pour se l’approprier et ne pas paraître le réciter, il fut saisi par l’intelligence du stratagème.

Il écouta la fin du discours d’un imam qu’il ne connaissait pas, sa voix chaude et puissante avait quelque chose de fascinant. Il louait le courage d’Ogras, son engagement républicain, sa volonté d’aider les musulmans de France à être respectés dans le cadre d’une laïcité positive. Il conspua Marion Maréchal et sa haine de l’autre, et la foule la hua, il mit en exergue le fait qu’elle risquait d’envoyer l’armée face à des zones dites de non-droit au seul prétexte qu’y vivaient des citoyens français de confession musulmane.

À la toute fin de son discours, un autre imam monta sur scène et lui souffla un mot à l’oreille. L’orateur feint la surprise et annonça avec un grand sourire qu’Ogras était présent dans la foule et qu’il souhaitait lancer un appel. La foule hurla et Ogras monta sur la scène sous une acclamation effarante. Il savait que son discours allait probablement changer la face de la France, il allait mettre Maréchal et son gouvernement au pied du mur. L’imam lui tendit le micro avec un regard appuyé. Derrière son sourire Ogras devinait un personnage sombre et violent. Il prit le micro et commença :

– Mes chers concitoyens, je m’adresse à vous tous, je parle au nom des 922 zones qui seront qualifiées de non-droit par Madame Maréchal, dont la Seine-Saint-Denis fait partie, je parle au nom de tous les musulmans de France et je veux vous adresser un message de paix. Madame Maréchal a annoncé que, si elle était élue, l’armée serait envoyée dans ces zones pour nettoyer le pays de ses plus radicaux résidents. Ce que je suis venu vous dire, c’est que les zones dont elle parle ne sont pas en guerre ! Électeurs de Madame Maréchal, vous le voyez sur vos écrans, nous sommes en paix, nous vivons sans violence. Nous savons, vous et nous, que nous sommes différents, mais cela ne fait pas de nous des ennemis. Cela fait des décennies que nous vivons séparés, vous avez déserté les endroits où nous habitions, et je vous comprends. Nous ne voulons pas vous imposer notre mode de vie mais nous ne voulons pas du vôtre ! La liberté sexuelle, l’alcool, les tenues frivoles, le droit au blasphème… tout cela, nous le rejetons, alors que cela fait partie intégrante de votre culture. Vos lois, nous ne les reconnaissons pas, notre culture, vous n’en voulez pas. Alors, cessons de vouloir nous imposer les uns aux autres, laissez-nous vivre là où nous vivons, donnez-nous la chance de vivre selon nos croyances et nos coutumes, nos règles et nos valeurs.

Nous demandons donc à Madame Maréchal de ne pas faire usage de la force, nous lui demandons de reconnaître les 922 zones géographiques comme étant des régions autonomes membres de la Fédération des régions musulmanes de France. Nous ne demandons qu’à vivre en paix. Mes chers compatriotes, vous me connaissez, je ne suis ni un fondamentaliste ni un communautariste mais, je vous en conjure, puisque nous n’y sommes pas parvenus en 50 ans, cessons de vouloir nous mélanger. Vivons en harmonie, chacun selon nos règles, dans des frontières bien définies. Nous sommes évidemment prêts à respecter vos territoires, à ne jamais les remettre en cause, faites de même.

Je vous annonce enfin que, si l’armée devait venir, nous opposerions une résistance pacifique, nous ne serons pas ceux qui déclencheront une guerre civile. Ainsi, dans chacune des zones en question, des habitants vont bloquer les rues pacifiquement, une fleur à la main en signe de bienvenue. Car les habitants du peuple de France seront toujours les bienvenus chez nous et nous espérons que ce sera réciproque. Cela durera jusqu’à ce que Madame Maréchal accepte nos conditions. Si jamais l’armée devait essayer de forcer le passage, nous ne serions plus maîtres de nos résidents les plus radicaux, nous savons qu’une minorité de musulmans cherche à mettre de l’huile sur le feu, au même titre qu’une minorité d’identitaires pousseront le gouvernement à envoyer l’armée. Si vous nous laissez être maîtres de nos territoires, nous pourrons les contrôler et les pacifier. Mais si vous nous attaquez, ils feront tout pour lever leurs frères musulmans contre la France, et nous ne répondrons plus de rien. Merci à tous de votre attention, j’invite désormais mes frères musulmans à se rassembler aux points d’accès de leurs quartiers et à les bloquer, sans arme, car c’est ainsi que nos compatriotes comprendront que nous sommes réellement ce que nous disons être : des innocents.

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