Laurent Leylekian : « L’Arménie est une préfiguration de ce qui peut arriver en France »

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Voilà pourquoi la droite s'empare de ces questions identitaires, selon Laurent Leylekian, analyste politique, spécialisé sur l'Asie Mineure, tandis que la gauche a complètement abandonné ce combat qu'elle menait au nom des droits de l'homme, à la faveur de la défense des minorités de confession musulmane.

Vous êtes français d’origine arménienne, le sujet de l’Arménie est revenu au cœur de l’actualité. Éric Zemmour s’y est rendu, puis ce sera Valérie Pécresse. Comment cet intérêt des candidats à la présidentielle pour l’Arménie est-il vu localement ?

C’est très bien vu par les autorités arméniennes qui sont désespérément à la recherche de soutiens politiques extérieurs. Ils ont aujourd’hui un soutien limité de la Russie, c’est une puissance qui a une profondeur stratégique et elle peut donc négocier des éléments relevant de la souveraineté qui sont critiques pour l’Arménie, mais pas pour la Russie. L’Arménie, depuis la guerre et depuis la défaite, est devenu extrêmement favorable à la Russie. Aujourd’hui, le pouvoir arménien ne peut pas se défaire de l’influence russe, mais une multiplicité de soutiens tiers est bienvenue, en particulier de la part de la France. En effet, la France est coprésidente du groupe de Minsk de l’OSCE et a un rôle à jouer dans la région.

On a l’impression que l’Arménie est devenue une « séquence présidentielle française »…

Les autorités arméniennes ne sont peut-être pas dupes de ce qu’il se passe, mais elles n’ont pas le luxe de pouvoir choisir leurs soutiens. Aujourd’hui, ce soutien d’Éric Zemmour ou de Valérie Pécresse est bienvenu, y compris celui du Président Emmanuel Macron lui-même qui a fait des offres de services à plusieurs reprises, que l’Arménie n’a pas pu ou voulu saisir. L’Arménie n’a pas le luxe de ses alliances, elle fait feu de tout bois et fait un très bon accueil à ce soutien extérieur car le pays a très peu de soutien. Le soutien de la France est le bienvenu, l’Arménie étant plutôt de tradition francophile. C’est une amitié historique.

L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont été en guerre à deux reprises, en raison de l’indépendance de la république du Haut-Karabagh ou Artsakh. Le conflit risque-t-il de redémarrer ?

À très court terme, on peut espérer que cela s’apaise. Le rôle extrêmement déstabilisateur de la Turquie dans cette région sera sans doute amoindri, à la suite de l’intervention de Joe Biden qui incite les Turcs à ouvrir le dialogue avec l’Arménie. On peut espérer un certain apaisement à court terme. À long terme, les fondamentaux n’ayant pas changé ; le traité concernant les frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan n’étant pas signé, je crains que cela continue. Cette question arménienne de l’Artsakh déborde en France et devient un thème de campagne car certaines forces politiques en France et en Europe voient, dans ce qu’il arrive aux Arméniens, une préfiguration de ce qui pourrait arriver chez nous, d’ici quelques années.

La défense de l’Arménie est une cause qui se situe plutôt à droite. Comment expliquez-vous cela ?

La droite et la droite extrême présentent cela comme une question religieuse, mais c’est d’abord une question territoriale et identitaire. Les Arméniens de l’Artsakh veulent vivre sur leurs terres sans être colonisés ou islamisés par l’Azerbaïdjan, ni subir d’épuration ethnique comme cela se passe aujourd’hui dans les territoires conquis par l’Azerbaïdjan. Les gens ont fui et ont été massacrés. La droite s’empare de ce sujet car elle il y voit un avertissement, une préfiguration de ce qui pourrait arriver en France avec des populations musulmanes de plus en plus irrédentistes. C’est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire en France. La gauche, sur cette question-là, est bien sûr inaudible car cela ne correspond pas du tout à son logiciel actuel, alors qu’il y a 30 ou 40 ans, les soutiens à l’Arménie étaient de gauche et non de droite, car il s’agissait des « droits de l’homme ». Une partie de la gauche a pris un logiciel indigéniste et défend la minorité musulmane.

La question arménienne est l’archétype de ce qu’il pourrait arriver chez nous.

Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

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