La réquisition n’est pas la guerre…

Portrait officiel de Sébastien Lecornu 1x1- Ministre des Armées

« La mobilisation n’est pas la guerre. » On se souvient de cette phrase prononcée par le Président Raymond Poincaré, le 1er août 1914. Deux jours après, l’Allemagne déclarait la guerre à la France. On connaît la suite. Cent dix ans plus tard, avec le conflit russo-ukrainien, on évoque le risque d’un engrenage vers une Troisième Guerre mondiale. On ne parle pas encore de mobilisation générale, mais l’on tente de mobiliser l’opinion publique, ce qui n’est pas gagné, si l’on en croit les sondages sur cette question. Par ailleurs, des mots, des expressions que l’on croyait être devenus des pièces du musée des incongruités, refont surface : « économie de guerre », « réquisitions » ; un mot, du reste, qui rime avec « restrictions »…

Réquisitions : le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, n’exclut pas en effet de faire appel à cette procédure prévue par la loi pour accélérer les cadences de production de notre industrie d’armement. Cette évocation de l’éventualité de réquisitions nous dit clairement que le temps des « dividendes de la paix », naguère évoqué par le sage Laurent Fabius, est bien révolu. Bien sûr, on peut légitimement se demander comment un décret pris en Conseil des ministres, comme le prévoit la loi, peut mécaniquement accélérer les cadences de production. Miracle de l’administration française, sans doute. Néanmoins, il est tout à fait normal qu’une nation comme la nôtre dispose d’outils législatifs qui permettent au chef du gouvernement, responsable de la Défense nationale, de mobiliser toutes les ressources nécessaires pour faire face à un danger pesant sur la nation.

La loi du 1er août 2023, relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030, est claire sur ce sujet. « En cas de menace, actuelle ou prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la nation, à la protection de la population, à l'intégrité du territoire ou à la permanence des institutions de la République ou de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l'État en matière de défense, la réquisition de toute personne, physique ou morale, et de tous les biens et les services nécessaires pour y parer peut être décidée par décret en Conseil des ministres. Ce décret précise les territoires concernés et, le cas échéant, l'autorité administrative ou militaire habilitée à procéder à ces mesures. » Une loi qui a repris celle de 1959 en l'adaptant à notre époque de menaces plus diffuses, plus « protéiformes », comme on dit aujourd'hui.

Certes, il n’y a rien d’illégitime, bien au contraire, à vouloir recourir à cette disposition légale pour atteindre nos objectifs de souveraineté en matière de Défense et pour que la programmation 2024-2030 ne glisse pas dans le temps, comme on a pu le voir dans le passé (des glissements liés, principalement, à des questions budgétaires, il faut bien l'avouer...). Là, en revanche, où il peut y avoir un problème, nous semble-t-il, c’est d’invoquer, évoquer ce recours à la réquisition pour soutenir l’Ukraine. Certes, Emmanuel Macron veut jouer de « l’ambiguïté stratégique » quant à une éventuelle intervention de nos troupes en Ukraine. Certes, livrer du matériel, des équipements à l’Ukraine, ce n’est pas faire la guerre à la Russie. Mais en faisant appel à la réquisition, normalement prévue pour faire face à une « menace actuelle ou prévisible » pour soutenir la guerre en Ukraine, c’est clairement sortir de « l’ambiguïté stratégique » et prendre le risque de franchir un palier supplémentaire dans l'escalade. La réquisition n’est pas la guerre. Certes…

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 28/03/2024 à 23:50.