Cinquante ans après sa mort, la nostalgie collective des années Pompidou

On commémorera bientôt les cinquante ans de la mort de Georges Pompidou, successeur du général de Gaulle, qui disparut le 2 avril 1974 après avoir courageusement lutté contre la maladie. Il affronta l’œil des caméras en héros en portant, sur son visage progressivement alourdi, les stigmates de la mort qui commençait à le saisir. Un documentaire lui est consacré, ce 27 mars, sur France 2. Une nouvelle biographie, ainsi qu’un roman d’Hervé Gattegno sur la sordide affaire Markovic, vont sortir. Et c’est à ce moment que l’on voit poindre une sorte d’unanimité affectueuse : à l’époque, c’était quand même bien.

« Que mon nom soit mentionné ou ne le soit pas n'est pas très important. Ce qui compte, c'est que mon mandat soit pour la France une période de sécurité et de rénovation, de bonheur et de dignité. » Voilà ce que disait de lui-même, et de son bref mandat à la tête de notre pays, ce pur produit de ce que la République savait alors produire de meilleur. Grand-père paysan du Cantal, père instituteur, lui, Georges, sera normalien, major de l’agrégation puis prof de lettres classiques à Henri-IV. À la différence de beaucoup de héros de la Seconde Guerre mondiale, il passera la guerre à enseigner, hésitant à faire une carrière littéraire. Cette flânerie dans le chaos lui sera longtemps reprochée – à raison, peut-être - mais en dit long sur ce personnage rêveur qui, à la différence du Général, ne fit jamais croire à personne (à commencer par lui-même) qu’il avait un destin de César. Il aimait, dit-on, cette phrase que l’esclave murmurait à l’oreille des Romains portés en triomphe : « Souviens-toi que tu n’es qu’un homme. »

Entré dans l’écosystème gaulliste par la petite porte, celle de chargé de mission à l’Éducation nationale dans le gouvernement provisoire de 1946, il gravit les échelons dans l’ombre du grand homme. En retrait de la politique jusqu’en 1958, il part chez Rothschild et vit une vie de culture et de mondanités, accompagné de sa longue et élégante épouse, Claude, dite « Bibiche ». Et puis, tout va vite : rappelé par de Gaulle, il participe à la rédaction de la Constitution, négocie avec le FLN, se retrouve à Matignon en 1962 et affronte la tempête boutonneuse des bourgeois de 68. Le reste, c’est l’Élysée… et la mort.

Ce qu’il reste de Pompidou, évidemment, c’est autant son mandat que son époque. Son mandat fut comme lui : rassurant, bonhomme, familier même. On trouva à l’époque, ici ou là, qu’il abaissait la fonction : l’actualité justifie à elle seule le regain de respect et de tendresse dont nous parlions en préambule. Face à Macron, Attal et leur orchestre, Pompidou apparaît pour ce qu’il est : brillantissime, d’une culture aussi abyssale que naturelle (quel ministre, en 2024, citerait Éluard sans notes en conférence de presse ?), incontestablement élégant – et même jet-set à l’occasion - tout en demeurant, sans artifice, l’enfant du Cantal avec sa clope au bec. Et puis, évidemment, il y a le contexte de l’époque : une dette proche de zéro, l’arrivée de la voiture (la « bagnole » à laquelle Macron fit, dans un énième clin d’œil marketing, une allusion très pompidolienne), les autoroutes, le train, l’art moderne qu’il aima tant (avec un enthousiasme sincère). « Les années bonheur », comme disait France Culture, en 2019. Des années qui nous apparaissent, dans la mémoire, ensoleillées et légèrement saturées, comme des films de vacances en Super 8 – et dont la simplicité, la certitude de soi franchouillardes, qui semblaient alors vulgaires aux césaristes, nous serrent aujourd’hui la gorge.

Emmanuel Macron tenta, en 2019 toujours, d’établir un parallèle absurde, par un jeu d’allusions, entre Pompidou et lui. Certes, il y avait Rothschild et le goût de la littérature. Mais ensuite ? Pompidou, lui, était vraiment normalien, vraiment agrégé, eut vraiment un enfant (qu’il adopta et qui devint un brillants médecin et universitaire) et aima vraiment la France. Il était vrai. En l’autre, tout est faux. C’est peut-être cela qui, à l’heure du crépuscule de la Ve, fait naître en nous, à l’évocation des Trente Glorieuses et de leur Président emblématique, une universelle tendresse. C’est à la fois une bonne et une triste nouvelle.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 28/03/2024 à 23:44.
Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

27 commentaires

  1. C’était encore une époque où la France était dignement représentée et menanit une politique intelligente. Nous en sommes maintenant à des années lumière de distance.

  2. Ceux qui ont connu cette époque se souviennent d’un vrai Président, hélas parti beaucoup trop tôt. Chacun de ses successeurs a participé à la dégradation de notre France Profonde que Georges Pompidou aimait tellement ! Les seniors qui votent Macron aujourd’hui me désarçonnent…Je n’en dirai pas plus.

    • Aux français qui ont élu successivement Giscard , Mitterrand , Chirac….j ‘arrête là…. le reste est encore pire !!

Commentaires fermés.

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