La guerre de l’information sur l’Ukraine ou le retour des plus belles heures du Kosovo, de la Syrie ou de l’Irak

Kosovo

Il y avait les couveuses de Saddam Hussein, le génocide des gentils Kosovars par les méchants Serbes, les armes de destruction massive de l’Irak ou les « rebelles modérés » de Syrie, il y aura le « fantôme de Kiev » ou les « héros de l’île des Serpents ».

La presse occidentale, droite dans ses bottes, ne change pas. Il y a les bons et les méchants, le camp du bien et celui du mal. Elle est là, agressive, menaçante, oppressante même, pour nous dire ce que l’on doit penser. Poutine est « fou », « paranoïaque » ou tout simplement un « salaud ». Le doigt de Big Brother ne nous lâche pas, les minutes de la haine sont des heures. C’est le moment de relire 1984 : nous y sommes, une fois de plus.

Milošević, Saddam Hussein, Bachar el-Assad, Donald Trump (moins sanguinaire, il est vrai, celui-là) ont un successeur : Poutine, incarnation du mal absolu. Il est vrai qu’il était, depuis longtemps, « en pole », comme disent les amateurs de courses automobiles. Pardon pour l’anglicisme.

Mais cette fois, plus de doute, il a jeté le masque en attaquant sans aucune raison un pays voisin qui voulait seulement entrer dans l’OTAN. Enfin ! La haine, si peu contenue jusque-là il est vrai, peut se déverser par torrents au nom de la morale, de la paix, des droits de l’homme, tout ce qu’on voudra. Une nouvelle bête immonde est identifiée. Les crimes sont déjà établis et les tribunaux internationaux au garde-à-vous.

Pas de recul, plus d’analyse, plus de vérification des faits, à quoi bon ? C’est la loi des suspects, et il y a longtemps que Poutine l’est. Nous sommes dans l’ère du manichéisme.

Lorsque George Bush père voulut attaquer l’armée irakienne qui venait d’envahir le Koweït en 1991, les sondages montraient que les Américains n’étaient guère enthousiastes. Alors, une jeune fille, entre deux sanglots, vient raconter, devant les plus hautes instances, le crime absolu : des soldats irakiens ont débranché les couveuses d’une maternité de Koweït, tuant des dizaines de nourrissons. Tout était inventé, mais peu importe : l’opinion bascula et l’OTAN put, oh joie, attaquer et détruire l’armée iraquienne.

Au Kosovo, en 1999, c’est un génocide qui se préparait, savez-vous ? Les soldats serbes, après leurs exactions, jouaient au football avec les têtes tranchées des pauvres Albanos-Kosovars. Tout le monde le crut, puisque c’est le ministre de la Défense allemand qui l’avait dit. Puis ce fut la fable de « l’opération fer à cheval » qui préparait le génocide des gentils maquisards de l’UÇK. L’OTAN, en preux chevalier, bombarda la Serbie pendant 78 jours pour lui apprendre à vouloir défendre sa province.

En Irak encore, en 2003, on apprit avec effroi que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive. La CIA inventa les preuves, le général Powell brandit une fiole de poison à l’ONU et l’on put finir le travail en abattant définitivement la bête immonde du moment « otanesque ». La peine de mort fut rétablie pour Saddam car, quand le crime est trop grand, n’est-ce pas…

La désinformation en Syrie fut encore plus joyeuse car elle put s’exercer pendant plusieurs années. Al-Nosra faisait du bon boulot, les islamistes étaient des rebelles modérés. Ils coiffaient même des casques blancs dans les grands moments. Mais rien ne marcha comme prévu car Daech vint gâcher la fête et Poutine commença à marquer son territoire. Le gaz du Qatar passera par la Syrie une autre fois et, en attendant, les sanctions américaines écrasent le peuple syrien. Ça lui apprendra à préférer Bachar aux islamistes.

L’Ukraine se prépare, à son tour, à entrer dans le Panthéon des grandes œuvres de l’Occident médiatique. Ainsi, les treize martyrs de l’île aux Serpents se sont benoitement rendus. Du jour au lendemain, la vidéo virale du glorieux « va te faire foutre » disparut, Zelensky changea de sujet et quelques doutes gênés apparurent dans la presse bien-pensante.

L’histoire du « fantôme de Kiev » est encore plus savoureuse. Ce héros, d’abord sans visage, avait abattu des dizaines d’avions russes. Patatras ! La vidéo de ses exploits était un montage. Puis il eut un visage souriant aux commandes de son avion. « Sauf que », comme l’a reconnu le « vrai ou fake » de France Info, la photo est antérieure à la guerre.

Les généraux et amiraux en retraite qui se succèdent sur les plateaux pour nous expliquer que l’armée russe avance moins vite que prévu (prévu par qui ?) et est en grande difficulté feraient bien d’être moins catégoriques : nul ne sait ce qui se passe vraiment et comment va se finir cette guerre. La désinformation atteint des niveaux époustouflants et la vertu de prudence devrait davantage inspirer les moralistes de la bien-pensance.

Antoine de Lacoste
Antoine de Lacoste
Conférencier spécialiste du Moyen-Orient

Vos commentaires

69 commentaires

  1. Les reporters de guerre font-ils leur travail? Tout ce que l’on voit à longueur de journée sont des immeubles civils dévastés avec retours permanents sur les memes photos des jours précédents. Aucune trace de combats. Ils existent bien pourtant…Excellent article en tout cas!

  2. Le drame réel est qu’aujourd’hui TOUT les médias « public » n’ont qu’une seule version des faits car aucune vérification ou analyse n’est réalisée.
    Et puis, quand l’information reçue peut servir le camp du mal (# des biens pesants!!) et bien elle est tout simplement supprimée (sans autre forme de procès).
    C’est d’ailleurs pour cela que je ne regarde plus jamais ces chaines ni n’écoute ces radios parfois propagandistes et que je souhaiterais ne plus payer l’impôt sur la redevance audiovisuelle .

  3. Sur la chaine internationale espagnole (TVE) hier, deux journalistes ont expliqué comment une photo diffusée par les Ukrainiens avait été bricolée. Cette photo montre un groupe de personnes (des Ukrainiens) fuyant une zone de combat, mitraillés par un avion russe. L’analyse technique de la photo révèle le montage, le groupe et l’avion ont existé l’un et l’autre, mais à des dates et en des lieux différents, le groupe récemment à la périphérie d’une ville, l’avion il y a quelques années en Russie.

  4. Merci pour cet article qui constitue un excellent « survey paper » (pardon pour l’anglicisme) des bourrages de crânes avérés qu’il est bon de ne pas oublier. Mais cela marche car je constate, autour de moi, que beaucoup « dégobillent » sans aucun esprit critique tout ce que la presse bien pensante leur prescrit.
    « Calomniez il en restera toujours quelque chose »
    Votre article est un excellent argumentaire à reprendre dans nos discussions face aux bons apôtres du camp du bien.

  5. « C’est la loi des suspects ». remise au goût du jour par les « progressistes » qui prétendent nous gouverner.

  6. Pour pouvoir juger d’un conflit qu’il soit petit ou grand on doit impérativement connaître les 2 sons de cloches. Hors tout véritables reportages venant de Russie il est impossibles de ce faire une opinion valable. Et personnellement il y a belle lurette que je ne crois plus les médias aux ordres.

  7. Bravo pour cette mise au point Monsieur! Les médias seraient bien inspirés de se rappeler le fameux charnier de Timisoara (1989) resté dans les annales comme un fake célèbre où les médias ont été les dupes. L’information est une arme, mais la désinformation en est une autre largement utilisée dans les conflits. C’est pourquoi, messieurs/dames les journalistes, je vous recommanderai la plus grande prudence et une grande humilité.

  8. Je ne comprends pas que depuis le temps que l’on montre les fakes news des gouvernements, nos concitoyens continuent de jouer à l’autruche ou de se laisser embobiner ! Sont ils incultes ou profondément égocentriques ???

  9. Les « Américains », qui devraient être les habitants du Continent et qui, ici, sont des Etats-Uniens (Gringos disent les Espagnols), s’illustrèrent, en 1898, en accusant ceux de Cuba d’avoir mis le feu à un de leurs vaisseaux….ce qu’ls avaient fait eux-mêmes et ils s’emparèrent de leur île, el aussi des Philippines! Début de la la liste que vous évoquez!

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