La génération informe

Les morts successives, ces dernières années, de figures de proue de la culture des années 60, dont le souvenir a été réveillé par le décès de Johnny Hallyday il y a quelques semaines de cela, avec ses cortèges de bons sentiments, sa procession de condoléances provenant tout autant de contemporains respectueusement émus que de fans qui admiraient en lui un symbole, nous ont, semble-t-il, rappelés au vide culturel de la génération présente.

Où sont les idoles d’autrefois ? Qui sont les héros de la jeunesse ? Qui, dans quarante ans, pourra se targuer d’une longévité comparable dans le spectacle ? Les quelques survivants des années 2000 paraissent déjà des dinosaures, recyclés par la machine et voués à devenir animateurs chez Ruquier. Les garçons et les filles qui ont fait 68 avaient, en politique, en musique, en littérature, leurs figures tutélaires, et suffisamment pour tous les bords : de Gaulle ou le Che, Brel ou Bob Dylan, Mauriac ou Céline, à ne savoir qu'en faire !

Mais qu’en est-il de notre époque ? Quel écrivain, en surpassant tous les autres, a écrit le malaise de cette jeunesse sans avenir, dont l’enfance a été bercée par les guerres des Bush fils et père et le 11 septembre comme celle de leur père avait subi le traumatisme de la guerre froide et de la mort de Kennedy ? Il y a bien des réalisateurs, au discours plus que pessimiste, mais dispersés, incomparables à ce que fut la Nouvelle Vague. Je ne crois pas qu’un écrivain comme Houellebecq, le seul qui en aurait peut-être l’étoffe,
pourrait l’incarner ni en être l’avatar : il est bien plutôt l’incarnation de cette même école de 68, mais vieillie, décrépie, dégonflée.

Ce besoin de représentants s’en ressent au quotidien, et n’est pas tout à fait étranger au succès des Soral, Mélenchon et consorts. On me parlera de rap, mais le rap est essentiellement égoïste, il parle des petits problèmes de la vie et n’élargit que rarement le propos à une optique plus large. En plus d’être très peu français d’esprit et de goût - ne pouvant donc qu’échouer dans l’absolu à cristalliser les problèmes qui nous sont spécifiques -, ce serait réduire tout une jeunesse à un art qui ne lui fait pas honneur, seulement occupé des problèmes d’ego liés au manque d’argent, de femmes ou de confort matériel.

Quoi qu’il en soit, ce sentiment de génération « pour rien » n’est pas nouveau. C’est Musset qui l’a popularisé au début de La Confession d’un enfant du siècle. Hemingway et Kerouac ont repris le flambeau, chacun à sa manière. À nous de faire de même si nous ne voulons pas être une génération « à blanc », la génération informe, qui n’aura rien à dire aux siècles futurs.

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