Jean-Paul Brighelli : « Le en même temps dans l’éducation n’est pas tenable »

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Présence d’un référent LGBT à l’école pour lutter contre l’homophobie, mise en place d'une mixité scolaire dans les établissements privés : le ministre de l'Éducation nationale Pap Ndiaye multiplie les initiatives destructrices. Enseignant, écrivain et essayiste à succès (La Fabrique du crétin), Jean-Paul Brighelli livre à BV ses réponses sur la situation de l'école aujourd'hui. Les priorités de Pap Ndiaye sont-elles les bonnes ? Les chantiers mis en œuvre ces dernières années ont-ils porté leurs fruits ? Inquiet du climat social, l'enseignant pointe du doigt une fracture qui divise profondément notre pays, partagé entre « la France des CSP+ et la France des gueux ». L'avenir est loin d'être écrit et pourrait, selon lui, être douloureux : « Les ministres devraient se méfier car, en France, les « croquants » peuvent renverser le gouvernement sans problème. »

Marc Eynaud. Que pensez-vous des chantiers du ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye avec la présence d’un référent LGBT à l’école pour lutter contre l’homophobie et l’accent mis sur la mixité scolaire dans le privé ?

Jean-Paul Brighelli. Il y a également un troisième chantier : la refonte du Conseil de la laïcité. Il a balancé un certain nombre des piliers de cette institution, à la grande surprise de son secrétaire général. Tout le monde craint une réorientation vers la laïcité à géométrie variable. Cela serait tout à fait dans l’optique des déclarations de Pap Ndiaye lorsqu’il n’était pas ministre. Cet en même temps trouble beaucoup de gens dans son camp car le « en même temps » dans l’éducation n’est pas tenable. On ne peut pas être à la fois dans la laïcité et en dehors de la laïcité, on ne peut pas à la fois vouloir la mixité sociale dans le privé et mettre ses enfants à l'École alsacienne. On ne peut pas dire à la fois qu’on veut plus de justice sociale et regarder d'assez loin ce qui se passe dans la réalité des quartiers ou des zones rurales.

La France vit dans un climat de dissociation psychologique grave, pour l'éducation. On a d’un côté des zones dont on n'a pas besoin de s’occuper : les grands lycées privés ou publics. On a également des zones dont on ne cesse de dire que l’on s’occupe, comme la proche banlieue du 93 ou les quartiers nord de Marseille. Enfin, il y a des zones blanches où l’école est livrée à elle-même, c’est-à-dire à ses vieux démons. D’où le recentrage, aujourd’hui, d’Emmanuel Macron sur les lycées professionnels. Honnêtement, le lycée professionnel n’a pas besoin d’un saupoudrage de subventions, il a besoin d’un tronc commun avec le lycée général. Il ne doit pas se sentir le laissé-pour-compte du système. J’ai enseigné pendant cinq ans en zone rurale, en Normandie. Il est évident qu’il y a des zones blanches sur la carte, et pas uniquement dans la diagonale du vide. C’est un peu comme si le gouvernement savait ce qui se passe à Paris intra-muros, avait vaguement des idées sur ce qui se passe dans les grandes villes, mais ignorait délibérément la fracture rurale. Dans ces zones, les besoins sont encore plus criants qu’en Seine-Saint-Denis. Dans certains départements ruraux, la masse d’adolescents quasiment illettrés est très supérieure à celle de la banlieue parisienne.

M. E. Tout un pan du territoire a été abandonné par certains services publics…

J.-P. B. Dans les années 2010, le gouvernement de Nicolas Sarkozy avait sorti le plan Espérance banlieues. Valérie Pécresse en était chargée lorsqu’elle était à l’Enseignement supérieur. Cela prenait en compte la France périphérique. Christophe Guilluy a rappelé l’existence de cette fracture dans ses ouvrages. C’est une France méconnue de l’exécutif, complètement dans l’ombre : cette France n'en est pas moins méritante. Les élèves n’ont pas moins de talent que les autres mais ils se retrouvent très rarement dans les formations supérieures. Il y a environ 17 % ou 18 % de banlieusards dans les classes préparatoires - c’est d’ailleurs la loi -, alors qu’il n’y a que 5 % d’élèves arrivant des zones rurales. Ce sont les oubliés d’un très grand nombre de zones où les parents ne savent pas vers où diriger leurs enfants. Les lycées, depuis la réforme Blanquer, sont très loin d’avoir les options qu'ont sans problème tous les grands lycées parisiens. Il y a véritablement une France à deux vitesses : la France des CSP+ et la France des gueux. Les ministres devraient se méfier car, en France, les « croquants » peuvent renverser le gouvernement sans problème.

M. E. Selon vous, le climat social est-il inédit ?

J.-P. B. Depuis des années, je l’ai écrit dans mes différents ouvrages. Nous sommes en 1788, nous avons une oligarchie qui se crispe sur ses privilèges, qui prétend que ses propres enfants lui succéderont.

Les Black Blocs ne sont pas un épiphénomène, ils sont une manifestation de quelque chose de souterrain qui éclate par prisme. Nous avons eu les gilets jaunes, nous avons des manifestations de plus en plus violentes sans objet apparent. Il s’agit d’une colère sourde qui éclate de temps en temps et dont la police fait les frais. C’est doublement scandaleux. D’un côté, on n'écoute pas véritablement le pays, et d'un autre côté, on utilise les forces de l’ordre, non pas comme un rempart, mais comme matière à images pour chaînes d’info en continu.

Imaginez que BFM TV ait couvert les journées des 13 et 14 juillet 1789. Ils auraient parlé des émeutiers ayant enfoncé les portes de la Bastille, décapité au couteau le gouverneur général et promené sa tête au bout d’une pique. Ils auraient dit : « Où allons-nous ? Il faut prendre des mesures. » Trois ans plus tard, le roi était décapité. Si les médias continuent à ne pas comprendre ce qui se passe, ils le paieront, tôt ou tard.

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Marc Eynaud
Journaliste à BV

Vos commentaires

10 commentaires

  1. Moi, je réside dans un secteur semi-rural, territoire « des gueux », où pourtant un des élèves du lycée tout à fait « lambda, du coin » a été lauréat du Concours Général l’an passé. Et le lycée technique – toujours « du coin » a été classé premier en France pour ses recherches en robotique.
    Je suis assez vieux pour avoir vu nombre de tentatives ministérielles en faveur de cette « mixité » qui met surtout en relief l’échec quant à changer les choses, comme si ce besoin était criant!

  2. Qu’ils le veuillent ou non ,qu’ils en aient les moyens ou non,les parents doivent d’ores et déjà envisager d’inscrire leurs enfants dans les écoles des pays étrangers .Les diplômes français ne valant plus rien du tout ,les employeurs ne leur proposeront que des postes subalternes ,s’ils leur en proposent,et nos jeunes verront leur rêve partir en fumée .
    Tous les moyens sont bons pour bouziller la France ,même et surtout peut-être ,ceux qui n’apparaissent pas au grand jour.
    Il est vraisemblable que les élèves des lycées techniques s’en sortent mieux que les soi-disant-intellos ;encore faut-il qu’on leur apprennent un métier ,pas les élucubrations wokistes lgbtq etc qu’ils auront bien le temps d’analyser quand ils toucheront un salaire .
    .

  3. Que peut-on souhaiter aujourd’hui pour l’Ecole en France ? Que Monsieur Brighelli devienne Ministre de l’Education Nationale. Et le plus vite serait le mieux. Cela arrivera peut-être un jour, mais pas dans les profondeurs abyssales macroniennes. Non, on nomme aujourd’hui un Pap Ndiaye qui, comme l’acide sulfurique, a entrepris de dissoudre notre école. Classée 4 ou 5ème mondiale il y a une demi siècle, elle se retrouve presque entre le 20ème et le 30ème rang , rejoignant le peloton de queue constitué par l’Afghanistan, le Soudan, le Niger ou d’autres encore pires.

  4. J’ai été présidente d’une association de parents d’élèves, d’un lycée privé d’une commune moyenne d’un département rural (Mayenne). Le directeur m’a contactée un jour pour que j’essaie de convaincre les parents d’un jeune brillant de l’envoyer en CPGE. Mais ils n’ont jamais voulu, cela leur paraissait « trop » pour leur famille, la sœur ayant fait un BTS.
    Il y a à Laval, chef-lieu, une antenne de l’Universite catholique de l’Ouest, mais aussi une antenne de l’Université du Mans, une école d’ingénieurs, plus deux ou trois établissements supérieurs offrant des diplômes tels que BTS, Le directeur de l’UCO nous a dit lors d’une réunion départementale : « S’il n’y avait pas cela à Laval, des jeunes ne feraient jamais d’études supérieures. » Et j’ai pu le vérifier auprès de mes collègues de travail, l’une d’elles (bac +3) me disait alors qu’on parlait du bac de sa fille : « Elle fera ce qu’elle voudra comme études, du moment que c’est à Laval… »

    • Pas du tout. Il se prend pour Procuste : « Honnêtement, le lycée professionnel n’a pas besoin d’un saupoudrage de subventions, il a besoin d’un tronc commun avec le lycée général ». Non il faut un véritable enseignement professionnel en LP. Pas besoin d’un enseignement de philosophie ou de seconde langue étrangère pour devenir un excellent plombier ou électricien. Qui gagnera mieux sa croûte qu’un licencié en sociologie ou psychologie décrochant un poste de caissier en grande surface.

  5. Le choix des élus Socialistes de mettre leurs rejetons dans les Écoles Libres n’est pas nouveau ! J’eus comme camarades de classe des enfants de ce modèle . On ne peut pas leur reprocher ce sauvetage

  6. L’Education et la Culture sont deux postes clés pour s’assurer de l’orientation de la propagande d’une nation. Les bases morales et civiques données aux enfants orientent ensuite leur existence et nous payons actuellement des années de tâtonnements et d’incurie. Le président Macron a nommé un ministre fortement influencé par ses années américaines qui juge la France à travers le prisme de ce qu’il a expérimenté , or nous n’avons ni le même système ni la même population et notre tendance n’est pas raciste. L’école privée est le dernier bastion résistant comme il peut aux modes et aux tendances qui détruisent et orientent politiquement l’individu, et ça dérange les pouvoirs en place qui tendent à niveler par le bas.

  7. C’est le règne des hypocrites faillots en admiration devant UBU ROI. Faites ce que l’on vous dit et ne faites pas ce que nous faisons nous régnons. Jamais France n’a eu de tels destructeurs à sa tête.

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