Au micro de Boulevard Voltaire, Jean-Frédéric Poisson revient sur le rôle de l'Union européenne dans la gestion de la crise sanitaire du Covid-19. Il dénonce l'inaction flagrante de l'institution et le manque de solidarité à l'égard des pays les plus touchés.

Il suggère également de « tirer des enseignements » de manière individuelle et collective, à l'issue de cette crise sans précédent.

Alors que l’épidémie de Covid-19 continue de faire des ravages, cette crise sanitaire nous ferait-elle prendre conscience de la désindustrialisation de la France ?
Est-il encore possible de faire machine arrière ?

Il est bien sûr temps de faire machine arrière. Premièrement, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Deuxièmement, cette crise fait émerger de tels besoins industriels pour notre pays que les Français doivent être convaincus de la nécessité de restaurer notre appareil industriel.
Troisièmement, la dépendance à l’égard d’un certain nombre de pays étrangers doit nous faire réfléchir sur notre souveraineté industrielle. C’est le cas par exemple sur la question des masques à l’égard de la Chine. C’est aussi un des enjeux de cette crise. Là encore, je pense que les éléments sont réunis pour que les Français comprennent.
Quatrièmement, nous étions dans une espèce de dictature de la gauche qui faisait peser sur les métiers manuels et sur l’industrie en général, une espèce d’image négative. Par conséquent, cela a éloigné beaucoup de jeunes Français des métiers manuels et de l’industrie préférant le commerce, les services, etc. Nous sommes désormais sortis de cette dictature.
Toutes les conditions paraissent donc réunies pour que la réindustrialisation soit en route. Pour cela, il faut que les écoles se remettent à former ces métiers et que l’État et les collectivités accompagnent ce mouvement. C’est un projet national, mais je pense qu’il y a des chances qu’il se fasse. Il faut que la volonté politique suive les constats de cette crise. À nous responsables politiques de faire en sorte que la sortie de crise aille dans ce sens.

Le vice-président du parlement italien a décroché le drapeau européen. Comment va sortir l’Union européenne de cette crise, elle qui répond a priori aux abonnés absents pour la plupart des pays membres ?

L’Union européenne était déjà en lambeaux. Elle sort de cette crise mortellement touchée par le virus. Elle sera incontestablement une des victimes les plus spectaculaires de cette épidémie.
Il y a eu un manque total d’anticipation et de solidarité entre les pays européens, de capacité à réagir rapidement, notamment à fermer les frontières, ou encore de partage d’expériences sanitaires. En fait, tout ce qui fait habituellement la cohésion territoriale sur un espace politique ou géographique donné manque à l’appel.
Ce n’est pas l’abandon contraint des règles budgétaires qui vont redonner confiance dans l’Union européenne. C’est un épiphénomène dans cette circonstance. Les responsables politiques, convaincus depuis longtemps que cette Union est artificielle et qu’elle est morte de cet artifice, espèrent comme moi qu’elle sera définitivement effacée du paysage. Nous pourrions réfléchir à une autre manière de construire l’Europe en dehors de l’Union européenne. C’est une des thèses que nous avons défendues au parti chrétien-démocrate. Cette Europe-là est non seulement inutile, mais elle est nuisible. Il faudra du temps, mais là encore je pense qu’elle a définitivement prouvé qu’elle ne servait à rien en période de crise. Elle ne sert qu’à ennuyer les gens en temps de paix et de prospérité. Et elle est fragilisée le reste du temps. Vivement que cela s’arrête. À nous de faire en sorte que les derniers coups de boutoir nécessaires à sa disparition soient portés le plus vite possible.
La perspective esquissée par les responsables politiques français de recouvrir aux mécanismes européens de stabilité relève de la haute cour. Ces mécanismes européens de stabilité sont une forme de prêt des instances européennes à la France, en échange d’un programme de réforme structurelle visant à revenir à l’équilibre budgétaire ultérieurement. Je ne comprends même pas que les responsables politiques français puissent avoir cela en tête.
Ces jours-ci, nous allons très probablement lancer une pétition au gouvernement français qui consiste à renoncer à cette trahison. J’ai fait partie des quelques parlementaires qui n’ont pas voté le fameux traité de Berlin en septembre 2012 et qui prévoyait ce mécanisme. Je sais parfaitement pourquoi je ne l’ai pas fait. Quand je constate que nous nous rangions encore davantage sous la tutelle budgétaire, non pas seulement en termes de déficits, mais en termes de contenu des instances européennes, non seulement je ne regrette pas mon vote de 2012, mais en plus je m’en félicite tous les jours. Malheureusement, c’est un malheur supplémentaire qui pourrait advenir à la France.
Il faut à tout prix éviter ce renforcement de la tutelle sur notre budget et protester vigoureusement contre le gouvernement pour qu’il n’aille pas au bout de cette intention.

Que révèle cet épisode de l’état de notre nation ?

Nous traversons cette crise comme nous sommes. À la fois, absolument pas préparés, très faibles sur le plan de notre organisation sanitaire, de notre capacité industrielle à répondre à produire les médicaments et l’ensemble des produits qu’il faut pour surmonter ce genre de crise. Comme nous sommes, avec notre côté indiscipliné, même si tout cela semble rentrer dans le rang de manière progressive. Comme nous sommes, au sens où le dévouement des personnels de santé et l’administration française en générale sont exemplaires. La solidarité dont nos compatriotes sont capables de faire preuve est également exemplaire.
Je pense que nous sommes collectivement en train d’apprendre le retour d’un certain nombre de valeurs fondamentales de partage, d’attention, de respect, de discipline et peut-être de frugalité. On se rend compte que la société d’abondance qui nous été promise et vantée est un peu moins active. Nous nous concentrons sur l’essentiel, y compris en termes de consommation. On se rend compte que finalement ces choses-là ne se passent pas si mal.
Néanmoins, il y a beaucoup d’endroits dans lesquels le confinement se passe dans des circonstances difficiles. Beaucoup de concitoyens et nous même sommes parfois confrontés à la dure réalité de l’existence et à ce que doit être ou pourrait redevenir le sens individuel et collectif de notre vie. Cela vaut pour ceux dont le confinement se déroule dans des circonstances matérielles ou psychologiques compliquées. Cela vaut aussi pour nous tous collectivement. Nous traversons cette crise en étant contents d’être forts là où nous sommes forts, étonnés de nos faiblesses que nous n’avions peut-être pas encore complètement découvertes. Et avec une formidable volonté et capacité de rebond. La question est de savoir comment nous sortirons de cette crise et quels enseignements collectifs nous en tirerons. Et là, tout est ouvert.
Il y a un danger que nous reprenions le pli de nos existences et toutes les mauvaises habitudes qui nous ont conduites là où nous sommes aujourd’hui. Il y a aussi une chance que nous en tirions des enseignements. Le rôle des responsables politiques est de faire en sorte que les débats publics s’installent sans aucune réserve ou retenue en termes de sujets, pour faire en sorte que nous tirions profit de cette crise mondiale et terrible. Il ne s’agira pas seulement de parler des dotations du ministère de la Santé ou de traduire les responsables devant les instances judiciaires compétentes. Cela sera nécessaire. Je parle plutôt de questionner sincèrement la manière dont nous vivons, dont nous abordons notre rapport à la collectivité, à la tradition, à l’enracinement et à la proximité. Ce sont des sujets politiques qu’il faudra traiter. Il faut souhaiter que nous sortions de cette crise en l’ayant traversé d’une manière suffisamment satisfaisante, pour nous donner la possibilité de débattre au fond de ces différentes questions.

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03 avril 2020 à 0:49

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