[Entretien] Xavier Driencourt : « Avec Alger, seul le rapport de force compte »

Xavier Driencourt

Xavier Driencourt a été haut fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères, directeur général de l'administration, inspecteur général et, à deux reprises, ambassadeur de France à Alger. Il est également auteur de L'Énigme algérienne. Chroniques d'une ambassade à Alger (Éditions de l'Observatoire, 2022) qui décrypte sans langue de bois les relations franco-algériennes. Il analyse les enjeux de la visite d'Élisabeth Borne à Alger. 

 

Gabrielle Cluzel : Le Premier ministre français Élisabeth Borne, accompagné de pas moins de seize ministres, est attendu les 9 et 10 octobre à Alger pour une visite de travail. Dans votre livre L’Énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger, vous écrivez que le voyage à Alger est, pour les hommes politiques, à la fois « un passage obligé » et « un exercice difficile » car « on y parle en stéréo ». Qu’entendez-vous par là ? 

Xavier Driencourt. Ce que je veux dire par cette formule ou cette image, c'est que les politiques français, quand ils se rendent à Alger, parlent là-bas et s'adressent aux Algériens, Algériens d'Algérie, autorités et population, mais aussi, et peut-être surtout, aux Algériens et Franco-Algériens qui vivent en France et, enfin, à une autre partie de la population française, rapatriés et pied-noirs. De ce fait, l’art oratoire, le discours est difficile, car ils s'adressent à des communautés différentes, peu homogènes et qui entendent et comprennent des choses différentes. Il faut être soit très habile, soit totalement "langue de bois" ! Comment, par exemple, aborder la question de l'immigration en s'adressant à des Algériens qui demandent davantage de visas et à des Français de France qui sont réticents ou méfiants vis-à-vis de la question migratoire. C'est la quadrature du cercle.

 

G. C. Selon Matignon, l’objectif de ce voyage serait de « ressouder les liens entre la France et l’Algérie ». Mais pour le dire plus crûment, l’idée, non dite, n’est-elle pas plutôt d’aller troquer des visas contre du gaz et des laissez-passer consulaires (pour, enfin, parvenir à exécuter quelques OQTF) ?

X. D. Je ne suis pas sûr que le gaz soit vraiment l'objectif de ce voyage, de même qu'il n'a pas été l'objectif du voyage du Président, fin août. Mais, cela dit, en Algérie et surtout aujourd'hui, dans le contexte que nous connaissons, nous devons évidemment parler gaz, pétrole et énergie. Comment imaginer qu'on ne le fasse pas ?

Le Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien (CIHN) auquel Élisabeth Borne se rend est un Conseil des ministres franco-algérien, présidé par les deux Premiers ministres. Cette structure de dialogue, certes très formelle et protocolaire, a été créée en 2012 et, normalement, se tient une fois par an, alternativement à Paris et à Alger. J'avais proposé ce dispositif en quittant Alger à la fin de mon premier mandat d'ambassadeur et il a été mis en place dès 2012. Il y a eu un CIHN chaque année, mais aucun CIHN ne s'est tenu depuis décembre 2017, car le Hirak, la chute de Bouteflika, puis le grand refroidissement franco-algérien ont mis à mal ce dispositif. En réamorçant le CIHN, on relance évidemment le dialogue, même si cela reste très formel : on y discutera économie, gaz, visas, laissez-passer consulaire, coopération culturelle, etc.

 

G. C. À vous lire, on a le sentiment, en caricaturant un peu, d’un pays qui de haut en bas de l’échelle sociale rêve par tous moyens de venir en France - ou d’y envoyer ses enfants - mais qui, pourtant, en même temps, nourrit une rancœur tenace et cherche sur son propre sol à effacer toutes les traces de ce pays. Comment expliquer ce paradoxe ?

X. D. Ce n'est pas un paradoxe, c'est la réalité à laquelle j'ai été confronté durant presque huit ans ! Il faut comprendre que chaque Algérien vivant en Algérie a un frère, un oncle, une grand-mère vivant en France et que, donc, chacun rêve d'aller voir sa famille en France. C'est d'ailleurs ce thème qui est repris constamment par le gouvernement algérien qui nous reproche d'empêcher les Algériens de venir voir leurs familles.

Il faut comprendre également que le discours officiel, dans les livres scolaires par exemple, ou la presse officielle, consiste à rappeler que la France a occupé l'Algérie 132 années, que la colonisation a été très dure, violente et inhumaine, etc. On met cela dans la tête des enfants dès l'école primaire.

Donc, ce sont ces mêmes Algériens, élevés dans cette détestation de la France, qui d'une part critiquent, voire pour certains, détestent la France, mais en même temps rêvent d'y venir pour une vie meilleure, pour la famille, pour s'y installer, etc. Il n'y a rien de paradoxal, cela a toujours été le cas. Beaucoup estiment que la France leur doit cette immigration, prix de la colonisation !

Ce qui est nouveau, en revanche, c'est qu'aujourd'hui, compte tenu de la fin du Hirak, de la répression qui a suivi l'échec de ces années de contestation, tous les Algériens, de tous les milieux, y compris des médecins, des fonctionnaires, des retraités, des hommes d'affaires, des policiers, même des militaires, etc., cherchent à quitter l'Algérie, soit légalement, par les commodités qu'offrent les accords franco-algériens de 1968, soit, de manière clandestine, par l'Espagne, d'où ils viennent en France. C'est le triste phénomène des « Harragas ». Je rappelle que pendant le Hirak, l'immigration clandestine s'est arrêtée car les Algériens avaient repris confiance dans leur pays. Depuis la fin du Hirak et l'absence d'espoir quant à la démocratisation du pays, l'émigration a repris de plus belle... C'est cela qui doit nous interpeller car c'est un phénomène nouveau qui prend de l'ampleur.

 

G. C. Si vous deviez conseiller Élisabeth Borne sur ce voyage, que lui souffleriez-vous à l’oreille ?

Je lui conseillerais de lire mon livre, notamment sa conclusion : avec Alger, seul le rapport de force compte, et il ne faut pas tomber dans l'angélisme. J'ai l'impression, bien que je ne la connaisse pas personnellement, que Mme Borne n'est pas du genre angélique. On verra...

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

11 commentaires

  1. A quand le mouvement de libération de la France de l’Algérie ?…
    Il serait temps de se libérer avec force et autorité de cette colonisation de la France par l’Algérie, à notre tour!
    Basta!

  2. Des visas pour visiter leurs familles….décidément les algériens nous prennent pour des C.. et ils ont souvent raison .Non ils viennent pour s’installer chez nous en France pour profiter des allocations chômage, familiales, logement etc…etc après avoir ruiner l’Algérie, ils vont ruiner ce qui reste de notre pays !

    • Avec un soupçon de notre complicité. Les français n’auraient jamais dû mettre à la tête de la France cette bande de minables (au masculin comme au féminin).
      Pour ce qui me concerne j’ai ma conscience pour moi !

  3. La reprise du dialogue avec l’Algérie est essentielle, mais quel handicap après la relecture de l’histoire depuis 60 ans et l’arabisation. La plupart des Algériens ignorent que Boumedienne, le boucher d’Oran, n’a pas été le premier Président de l’Algérie.

  4. En fait l’Algérie depuis son « independance » vit sous une triple dictature, dictature militaire avec le FLN, religieuse avec l’islam et communiste, toujours le FLN. Il n’y a aucun espoir pour ce pays, sauf pour les individus, la fuite dans un pays civilisé. En fait permettre l’immigration est permettre que le système actuel perdure. Il faut vraiment arrêter l’immigration, non seulement pour nous, mais pour eux également. La seule solution que ce système mafieux au pouvoir en Algérie s’arrête est que les algériens se révoltent, sérieusement, en étant éventuellement appuyé de l’extérieur. Aller cirer les pompes des politiciens corrompus d’Algérie est vraiment desservir le peuple algérien.

    • « l n’y a aucun espoir pour ce pays,  » Mais si! Il a le même avenir que toutes les dictatures communistes : l’écroulement après faillite. Ce qui ne saurait tarder.

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