Une deuxième tribune de militaires lue plus d'un million de fois et signée par 2.000 militaires « d'active » est parue. Soutenue par des des centaines de milliers de citoyens.

Analyse et décryptage par le général de division (2S) Jean-Luc Favier qui répond aux questions de Boulevard Voltaire.

 

Il y a quelques semaines, plusieurs dizaines d’officiers supérieurs à la retraite ont publié une tribune dans l’hebdomadaire Valeurs actuelles appelant à plus d’honneur en politique. Ces militaires feront, a priori, l’objet de sanctions de la part du chef d'état-major des armées. Quinze jours plus tard, plus de 2.000 officiers d’active ont signé anonymement une tribune de soutien à leurs aînés signataires de la première tribune. Qu’est-ce que cela révèle de l’état de l’armée vis-à-vis du pouvoir ?

Cela révèle une interrogation profonde de la part de beaucoup de militaires. Je suis un jeune retraité et je reste en contact avec beaucoup de jeunes qui sont sur le terrain. Je suis frappé de leur désarroi et de leur recherche de sens. Ils sont complètement déboussolés. Les militaires s’engagent librement au service de leur patrie et acceptent librement l’hypothèse de pouvoir y laisser leur peau.
La question centrale qui se pose et qui fait l’objet du titre de l’ouvrage du signataire de la première tribune, le général de Richoufftz, est « Pour qui meurt-on ? »
Cette question reste d’actualité. Pour qui meurt-on ? Pourquoi se bat-on ? Que doit-on défendre ?
On peut discuter sur la forme mais, le constat opéré, n’importe qui de bonne foi ne peut que le corroborer.

L’eurodéputé François-Xavier Bellamy a déclaré, hier, que plutôt que d’entendre le message, on s’en prenait au messager. On dit toujours que les militaires ont un devoir de réserve. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’armée est appelée « la grande muette ». Ces militaires ont-ils eu raison d’intervenir ou auraient-ils dû respecter leur devoir de réserve et se soumettre ou se démettre ?

Il faut se pencher sur les textes qui encadrent les droits et devoirs des militaires. Les militaires ont adhéré en toute connaissance de cause à un État. Je vais vous citer exactement l’article L4111-1 du Code de la défense : « L’état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité. » Une fois que l’on a dit cela, on parle beaucoup du devoir de réserve.
Plus loin, l’article L4121-2 du Code de la défense précise que les opinions politiques ne peuvent être exprimées qu'en dehors du service avec les réserves exigées par l’état militaire. Par ailleurs, le statut des militaires a été réformé en 2005. Il est bien précisé que les militaires doivent se plier aux exigences des discipline, loyalisme et neutralité. Comme je le disais tout à l’heure, les limites associées au devoir de réserve ne sont pas nettement identifiées. En général, ce qui est souvent reproché, c’est de dépasser les limites imposées par le devoir de réserve. C’est flou et souvent subjectif.
Dans une tribune sortie ce matin, Alain Bauer dit de façon assez nette qu’il voit l’expression d’un puissant mouvement de consternation et d’exaspération. Cette réplique est la réponse indirecte à la façon dont cette première tribune répond à ce qui a été interprété et ressenti comme un profond mépris pour le fond et la teneur du message. En effet, je souscris à ce qu’a dit François-Xavier Bellamy. Le constat opéré est l’aboutissement d’une dégradation progressive. Au cours de ma carrière, j’ai vu les relations sociales se dégrader progressivement pour en arriver au terrible constat que les gens ne se supportent plus.

Il y a quelque chose de révélateur dans cette deuxième tribune. L’hebdomadaire qui a décidé de la publier a proposé aux gens de la signer. Hier soir, il y avait plus de 100.000 signataires et la tribune avait été lue plus d’un million de fois. Un sondage avait dit que 57 % des Français étaient d’accord avec la première tribune publiée. Ce qui est rassurant ou pas pour le pouvoir en place, c’est que l’initiative des militaires a été très majoritairement soutenue par la population. Le constat que dressent les militaires est a priori celui, aussi, de la majorité des Français

Cela fait appel à des ressorts à la fois sociologiques et psychologiques. Le pays traverse une crise grave où les tensions se sont exacerbées et il y a des inquiétudes pour le lendemain. Cet accueil positif de cette initiative au sein de la population ne me surprend pas. Il y a réellement une France qui doute d’elle-même, qui a peur et qui perd ses repères.
Je voudrais revenir sur l’impact direct de cette initiative. Personnellement, je suis triste de voir la communauté militaire se déchirer à ce point. Vous avez ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, ceux qui critiquent le fond, ceux qui critiquent la forme et ceux qui critiquent et le fond et la forme.
Il faut que les esprits se calment et en revenir à la raison. Il faut se mettre autour d’une table et discuter sur un constat. Si on est de bonne foi, on peut difficilement le contester. C’est l’aboutissement d’un long processus qui aboutit au terrible constat que nous faisons actuellement. Il ne se passe pas un jour sans faits divers tragiques.
Il y a eu des échanges d’insultes. Très franchement, je suis triste pour le chef d’état-major des armées qui est un officier remarquable et qui vaut mieux que l’image que l’on projette de lui. Il doit probablement traverser une période extrêmement difficile. Il faut que la raison l’emporte. On ne peut pas balayer d’un revers de main cette initiative uniquement pour des questions de forme. Le général d’armée et président de la Saint-Cyrienne, Bruno Dary, a conclu cette tribune par une citation de Saint-Exupéry. « Puisque je suis l’un d’eux, je ne renierai jamais les miens quoi qu’ils fassent […] Quoi que je pense alors sur eux, je ne servirai jamais de témoin à charge ! »

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11 mai 2021 à 15:00

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