Général Bruno Clermont : « Le retour des empires se vérifie avec la Chine ou la Russie » 3/4

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Marc Baudriller. Comment, en France, a-t-on pu rester à ce point aveugle sur les intentions russes ?

Général Bruno Clermont. Il faut revenir sur l’échec du renseignement. On n’avait pas d’intérêt à suivre la Russie. Jusqu’en 2014 et la prise du Donbass, la Russie n’était un sujet pour personne. On s’y est un peu intéressé à cause de la Géorgie et de la Tchétchénie, mais cette affaire ne concernait pas les Occidentaux, c’était la politique intérieure russe. Et puis, surtout, on avait d’autres chats à fouetter : tout le monde a ramassé les dividendes de la paix, aussi bien les Européens que les Occidentaux. Donc, les systèmes militaires se sont écroulés quand l’Union soviétique s’est écroulée. L’intérêt pour l’Union soviétique s’est écroulé en même temps et, pendant dix ans, la Russie était dans un trou noir jusqu’à ce que Poutine arrive. C’est cela la réalité.

M. B. Personne ne s’aperçoit que Poutine a commencé à réarmer, avant le Donbass ? 

Gal B. C. Poutine a redressé économiquement la Russie pendant dix ans, à partir de 2010, surtout après les opérations militaires en Géorgie. L’armée russe est lamentable, en Géorgie : elle est vieille, dispose de vieux matériels et s’appuie sur une vieille doctrine. Avec l’échec en Géorgie, Poutine va prendre conscience des limites de son armée et décide de la moderniser. Il lance un plan massif de réorganisation de l’armée russe qui, malheureusement pour lui, n’est pas terminé.

M. B. Quel investissement a-t-il consenti pour moderniser son armée ?

Gal B. C. Un chiffre de 100 milliards de dollars a été avancé. Mais que représente cette somme, en Russie ? Officiellement, le budget de la Défense russe, c’est 60 milliards d’euros - c’est un peu plus que la France. Mais ces chiffres sont à prendre avec distance : il faut les confronter à la parité économique, au niveau de vie en Russie, au salaire minimum, à l’appareil industriel. En réalité, l’armée russe reçoit beaucoup plus que 60 milliards d’euros. C’est une des difficultés : mesurer ce qu’est la puissance militaire russe. Quel est son outil militaire ? Les satellites ne le disent pas mais le renseignement peut être précieux. Dans le renseignement, il y a deux éléments : les capteurs qui vont vous ramener des informations et l’analyse. Les Américains croulent sous le renseignement électronique et high-tech, mais il faut ensuite analyser les informations recueillies. Et là, ce sont des humains avec des cerveaux et des connaissances de la société, du terrain, du territoire.

M. B. Poutine se rapproche donc de la Chine et réarme.

Gal B. C. Il veut remilitariser la Russie pour en refaire une puissance et sortir de l’humiliation qu’il subit, pense-t-il, de la part des grandes puissances, en particulier des États-Unis. L’homme qui va réveiller les États-Unis, c’est Trump. En 2018, son administration sort un document de stratégie, la National Defence Strategy, qui dit au peuple américain : nous avons maintenant deux adversaires majeurs, des compétiteurs à égalité avec les États-Unis, ce sont la Chine et la Russie. Il décide alors de relancer la machine militaire américaine, forces nucléaires incluses. La version 2022 de ce document validé par l’administration Biden vient de sortir : elle ne présente plus qu’un seul compétiteur, la Chine. Les Américains ont déclassé la Russie, considérant en particulier ses capacités militaires au vu des opérations en Ukraine. La Russie ne fait plus peur aux Américains.

M. B. Pourquoi Trump a-t-il été visionnaire, sur quoi se fondait-il ?

Gal B. C. Je pense que c’est un peu comme en France. À partir de 2017, la revue stratégique confiée par Macron à Arnaud Danjean [député européen LR, NDLR] identifie le retour des États-nations. Avec la prise du Donbass, on comprend que Poutine veut faire de la Russie une puissance respectée. Ce retour des empires se vérifie avec la Chine ou la Russie, il se vérifiera encore avec la Turquie ou l’Inde. On réalise alors que c’est le retour des empires, des guerres entre États et, donc, des conflits à haute intensité. On sort d’un monde de guerres asymétriques dans lequel on combattait des djihadistes dans le désert ou des Afghans. Cette fois, nous avons une guerre d’État contre État avec armes lourdes contre armes lourdes. Une guerre de destructions et de crimes de guerre. C’est vraiment un changement de paradigme total. C’est la guerre telle qu’on l'a connue avant la guerre froide, c’est comme si on avait vécu une parenthèse, comme si 2022 était la suite de la Deuxième Guerre mondiale qui a donné naissance à la guerre froide : nous sommes revenus, en quelque manière, en 1946 ou en 1988.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

27 commentaires

  1. Une petite rectification quand meme : ce sont les Ukrainiens ( a la botte des Etas Unis) qui ont massacré 14 000 de leurs citoyens russophones dans le Donbass apres le coup d etat de Maidan qui a mis au pouvoir Zelenski ami de la mafia et des bataillons neo nazis.
    Le conflit actuel est donc la resultante du massacre dans le Donbass par les Ukrainiens eux memes.
    La russophobie ambiante donne la nausée…

  2. L’EUrope est le gateau que se disputent les empires. Je ne suis pas certaine que l’empire américain et sa dépravation soit notre meilleur choix. On aurait pu opter pour la Russie comme disait DE GAULLE…

  3. Poutinophile, je n’ai pas lu l’article jusqu’au bout.
    Dès les premières lignes, j’ai pu constater que ce monsieur se fiche comme d’une guigne que les habitants du Donbass, russophiles et russophones, eux, reçoivent sur la tête des bombes depuis 8 ans de la part des nationaux socialsites d’Ukraine, aidés en cela par l’OTAN.

    • Vous avez osé évoquer ce qui a été le détonateur à l’invasion, d’ailleurs non qualifiée de « guerre », mais « d’opération spéciale » par Moscou !
      Diantre.

    • Je vous rejoins totalement, Tara.
      La russophobie et la poutinophobie qui gangrènent Boulevard Voltaire m’inquiètent au plus haut point.

    • J’approuve entièrement vos propos , BV laisse de grands spécialistes des affaires militaires nous expliquer le « pourquoi du parceque » à grand renfort d’explications précises et tellement judicieuses qu’on se demande d’ailleurs pourquoi de tels stratèges n’avaient pas prévu la guerre russo ukrainienne , à l’instar de la Direction du Renseignement Militaire d’ailleurs . Bref , moi j’ai choisi de soutenir la Russie et son Président plutôt que ce clown ukrainien qui commande des nazis en Europe

    • Tout a fait d accord avec vous ! De là a dire que l occident complote contre la Russie il n’y a qu ‘un pas…Je suis comme vous pro Russe et anti Zelenski .

  4. Je pense que personne ne veut comprendre le problème de la Russie moscovienne. Les USA veulent l’asphyxier (pourquoi ??). Mais, détacher l’Ukraine en l’intégrant à l’Otan et à l’UE c’est en fait créer un blocus maritime de la Russie. Elle ne peut l’accepter, il est vital pour elle d’avoir un accès sûr et reconnu à la Méditerranée. On lui a déjà supprimé l’accès direct à la Baltique en annexant les Pays baltes. Seule Vladivostok lui resterait ? C’est pure folie que refuser de parler à Poutine

    • La Russie jouit toujours d’un accès direct à la Baltique par le golfe de Finlande. Sinon, la Crimée avec Sébastopol dispose en permanence d’une importante base sur la mer Noire (mais dont l’accès est contrôlé par les Turcs). Vladivostok, c’est loin et ne concerne que le Pacifique. Mais les Russes peuvent toujours annexer l’Iran. Ils disposeront ainsi de cet accès tant convoité sur les mers chaudes.

  5. « L’Europe, c’est la paix » nous répétait-on depuis des années et des années.
    Manifestement, ce peut être aussi la guerre dès que l’envie lui en prend.
    Les peuples, qui n’ont rien demandé, n’ont qu’à en subir les conséquences en silence…

  6. Comme les deux précédents, cet article reflète l’alignement inconditionnel sur les faucons américains. La volée de bois vert des commentaires sur celui d’hier l’a parfaitement exprimé.

  7. Si la Russie ne fait plus peur aux Etats-Unis, on comprend mal l’acharnement de ces derniers à dresser tout l’Occident (à défaut du monde entier) contre elle…

    • Depuis la seconde guerre mondiale, les USA ne parviennent plus à exister sans semer en permanence le chaos en un point ou un autre de la planète.
      Entre l’Afghanistan et, plus tard, la Chine, il fallait bien qu’ils s’occupent.
      Semer le désordre en Europe est sans doute une occupation du moment à laquelle ils prennent beaucoup de plaisir. En plus, ça touche leur meilleur ennemi historique. Du bon business sans rien faire. Que demander de mieux ?

    • Tant les USA que la Russie* veulent réduire la puissance de l’Europe ( ne pas confondre avec celle de Bruxelles).
      *En Afrique les Russes de Wagner chassent la France

    • Mais tout simplement pour affaiblir l’Europe et la rendre encore plus dépendante qu’elle ne l’est déjà, mais cette fois, sur la plan énergétique, en plus de l’aspect militaire.
      On peut raisonnablement penser qu’avec Trump président, Poutine , que l’Américain avait prévenu (cf témoignage de Giuliani), n’aurait pas bougé. Mais ça reste une conjecture, réaliste certes, mais pas plus.

  8. Remarquable. La Russie tsariste puis l’URSS a toujours été un état-ethnie impérialiste. C’est une logique historique mais archaïque du plus fort. Comme la Chine. Par ailleurs 1/ En pianotant sur wiki on découvre que quasiment aucun philosophe n’a étudié le concept de nation. Incroyable 2/ Trop de Français (ex anti communistes) se sont pris d’amour pour Poutine (défenseur des valeurs ?). Et ils sont incapables de voir les faits immondes et de changer d’avis. Seuls les imbéciles ne changent pas…

    • Le concept de  » Nation  » ? en 1970, mon prof à sciences Po , l’historien René Rémond , m’avait fait plancher sur le concept de Nation : trop immature , sans doute ; mon « devoir »( on dit thèse de Master 2 maintenant, c’est ça ?) n’a pas été retenu…Donc , c’était il y a 52 ans….
      Par ailleurs , qu’avez-vous contre l’Amour immodéré qu’on peut avoir pour un personnage fort et un pays homogène et respectueux de son histoire ?

      • 22 ans de pouvoir absolu. Le Poutine que je respectais n’est n’est plus Poutine. Sur la nation vous aviez raison ; c’est un sujet capital (c »est dans la déclaration de 1789) mais très difficile : ni Mauss ni Morin n’ont pas pu en venir à bout. Mais lire les travaux de Temple, un théoricien du sujet.

    • Je suis repéré par l’ambassade de Russie ! Et les imbéciles ne lisent pas, ne comprennent pas, votent contre, mais ne répondent pas !

    • Que voulez vous, je n’apprécie pas que l’on aide des gens qui tirent sur leurs voisins civils depuis 78 ans en s’asseyant sur les traités internationaux, au point que les civils (femmes et enfants compris) soient obligés de vivre dans des caves.
      Pas plus que j’apprécie que des labos de recherche de gains de fonctions de virus et bactéries et de recherche de produits chimiques pour des guerres Otanesques soient installés à nos portes et partout dans le monde!

  9. Il en ressort clairement que l’Europe bruxelloise n’est pas et ne sera jamais un empire.
    En snobant et en l’escroquant ( affaire des navires) on a donné à Poutine et aux russes, surtout pas oublier le peuple russe, le rêve de leur puissance passée et ils ont profité de leurs immenses ressources ( gaz, pétrole…) pour se donner les moyens de cette ambitions.
    En fermant les yeux sur les corrompues de Kiev et les fourbes Yankees nous nous trouvons proche du drame.

    • Oui fourbes US, corrompus à Kiev mais aussi fourbes et corrompus à Moscou. Et débiles à Paris…On est mal

      • Je ne retiendrai que « débiles à Paris » car ça pour un débile, il est profond le Macron, le mec aux sempiternelles repentance !
        La patate chaude, elle est bien pour nous le peuple qui va aller se battre avec des baïonnettes…

    • La fourberie des orthodoxes, dite fourberie grecque, est légendaire et les auteurs s’en régalent dès le 18ème si. Ces personnages sont aussi cruels que menteurs, tricheurs, et corrompus et leurs soutiens écoeurants.

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