Fermeture des régimes spéciaux : pour une poignée de bobards…

borne

Curieusement, on n’en a pas entendu beaucoup parler, pendant les débats à grands fracas qui se sont déroulés autour de la réforme des retraites : la loi dont le gouvernement a accouché aux forceps, le 14 avril, prévoit la « fermeture » de certains régimes spéciaux. Même les syndicats, d’ordinaire si pointilleux sur les « avantages acquis », restent étrangement discrets sur cet article de la loi. Il s’agit, en réalité, d’une arnaque à tiroirs.

Sont concernés plusieurs régimes spéciaux d’entreprises publiques : RATP, industries électriques et gazières (IEG), Banque de France, celui du Conseil économique, social et environnemental (mais on ne touche pas à ceux des parlementaires, députés et sénateurs !) ainsi que celui des clercs de notaires – qui semble ajouté aux précédents pour donner le change, tant ce régime du secteur privé, financièrement équilibré sans bénéficier de subvention publique, diffère des précédents.

Premier tiroir de l’arnaque : il manque les principaux régimes spéciaux

« Nous allons fermer la plupart des régimes spéciaux de retraite existants », avait affirmé Élisabeth Borne, en présentant son projet de réforme, le 10 janvier. Or, ceux de la fonction publique, de très loin les plus importants, demeurent et continueront d’octroyer à leurs affiliés les mêmes avantages qu’actuellement, notamment en termes d’âge de départ anticipé, de mode de calcul et de garantie du niveau de la pension, de réversion (en cas de veuvage) ou de majorations familiales. En somme, Borne désarme quelques escorteurs sans toucher au porte-avions.

Deuxième tiroir : la clause dite « du grand-père »

Fermer n’est pas supprimer. De facto, la disparition des quelques régimes spéciaux du public mentionnés est renvoyée aux calendes grecques par l’inscription dans la réforme de cette « clause du grand-père ». En vertu de ce dispositif, la « fermeture » ne s’appliquera qu’aux salariés embauchés à partir du 1er septembre 2023, qui seront affiliés aux régimes de base et complémentaire des salariés du secteur privé (CNAV et Agirc-Arrco). En revanche, les personnels embauchés avant cette date continueront à bénéficier des avantages liés au régime spécial. La clause du « grand-père » avait déjà été appliquée lors de la réforme, en 2018, du régime spécial de la SNCF, qui a servi de test et d’exemple aux autres « fermetures ». En 2021, répondant à une pétition de l’Association sauvegarde retraites, le sénateur René-Paul Savary, président de la Mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale (MECSS) du Sénat, avait précisé que le régime spécial de la SNCF ne s’éteindrait que « vers 2120 », soit un siècle après sa « fermeture ». Ce n’est plus la cause du grand-père, c’est celle du bisaïeul !

Troisième tiroir : les régimes spéciaux du public seront financés par les caisses du privé

Comme l’avait dévoilé Sauvegarde retraites, le régime spécial de la SNCF (CPRPSNCF), devenue « caisse de branche », continue de gérer les prestations sociales (assurance maladie et retraite), non seulement des cheminots recrutés avant janvier 2019, mais aussi de ceux recrutés après cette date, désormais théoriquement affiliés au régime général (CNAV) et aux complémentaires des salariés, Agirc-Arrco. Sous ce prétexte, ces régimes du privé versent à la CPRPSNCF une soulte, supposée répondre à un souci d’équité : l’affiliation à ces régimes des nouveaux agents de la SNCF a pour conséquence une augmentation du nombre de leurs cotisants et une diminution concomitante des cotisants à la CPRPSNCF, qui continue toutefois à payer les pensions des cheminots restés sous statut. La soulte serait donc une compensation. Mais ce raisonnement repose sur un sophisme qui conduit à comparer un chou et des carottes. Les avantages onéreux que le régime spécial de la SNCF octroie à ses affiliés, côté chou, n’a pas d’équivalent dans les régimes du privé, côté carotte. In fine, les cotisants de ces derniers financent donc un régime plus généreux que le leur, via cette soulte qui augmente chaque année (10 millions d’euros en 2020, contre 57 millions en 2023). S’y ajoute une subvention annuelle de plus de trois milliards d’euros par an versée par l’État (c’est-à-dire les contribuables) à la CPRPSNCF pour compenser son fort déséquilibre démographique.

Ce déséquilibre démographique est-il le tiroir secret de l’arnaque, la véritable raison de la « fermeture » des régimes spéciaux des entreprises publiques ? Le ratio cotisant/retraité est de 0,84 à la RATP, 0,75 dans les IEG, 0,46 à la Banque de France : intenable ! Lorsque le gouvernement Pinocchio prétend vouloir « fermer » ces régimes spéciaux au nom de l’équité, il agit plutôt pour les sauver.

Éric Letty
Éric Letty
Journaliste

Vos commentaires

15 commentaires

  1. La caisse de retraite des avocats connait des prélèvements sur les cotisations supérieurs à 50% vers une caisse de compensation, mais chut !!! seul un président de cette caisse a publié cette information.

  2. la « réforme » des retraites enfin la toute dernière sera forcément suivi d’une autre mais après la fin de mandat de notre président. Donc tout va bien. On n’a rien réglé mais on a rajouté un peu de complexité et d’énervement. Spécialité bien française ; ne sommes nous pas (enfin nos dirigeants successifs) les inventeur de la TVA et même mieux de la CSG non déductible et de la TVA sur des taxes comme si les taxes constituaient une valeur ajoutée et qu’un non perçu constituait un avantage imposable… Et s’il n’y avait que ça !

  3. Ils, Élisabeth, Manu, et tous les sbires du gouvernement, n’ont toujours pas imprimé que cette loi retraites ne s’éteindra uniquement que lorsque les concerts de casseroles se seront tus, et qu’ils se seront tous fait la male.
    Ils peuvent toujours « faire-du-genre », « blablater-de-ci de-là, cahin-caha », ils ont l’impression qu’ils font le tuff, et que les français vont encaisser sans rien dire dans un silence assourdissant de concerts de casseroles…
    Les lendemains de régimes spéciaux risquent bien de les laisser avec des indigestions sans pareil.

  4. Mon petit doigt me dit que les régimes de retraites actuels se casseront la g… dans les 15 ans…
    En effet, comment continuer à accumuler les dettes au niveau de l’Etat, sûr que les préteurs finiront par mettre en cause la crédibilité de l’Etat dans le remboursement de ses emprunts…
    Je m’attends alors, pour le moins, à une mise à niveau des retraites du public, tous secteurs confondus, sur celui du privé. Pour résumer : multiplier par 2/3 ou 0,67…
    Probable aussi l’introduction de la capitalisation pour contrer la démographie déficiente…
    Possible aussi, le blocage des charges et donc la continue adaptation des retraites sur les recettes pour ne pas accroitre les dettes !

  5. M. LETTY (journaliste), arrêtez de tirer sur l’ambulance comme le fait votre collègue praud, et si on mettait auusi sur la table les « niches fiscales » des journalistes ? Si le régime de la fonction publique de l’Etat , en particulier, est si intéressant pourquoi y a-t-il si peu de candidats aux concours, avec une carrière faite de plusieurs déménagements imposés « neuf en ce qui me concernez
    Arrêtez de diviser les français !

  6. Tous les régimes spéciaux sans exception devraient disparaître, là serait la justice !!! On peut encore têver !!!!

    • OK : dans ce cas, il faudra rembourser les cotisations de ceux qui ont payé pour recevoir de ces régimes, et ce avec les intérêts de ce prêt à ces caisses.
      (je n’ai pas cotisé à des régimes spéciaux, donc je suis neutre, mais logique)

  7. …. et le régime spécial des intermittents du spectacle ?? Personne n’en parle ! Il est pourtant ultra-déficitaire.

  8. Moralité : quand une organisation fonctionne sainement (agirc-arrco), on la sanctionne pour sauver celles qui sont déficitaires.
    Et pour couronner le tout on annonce l’embauche de milliers de fonctionnaires.
    Tout va bien en macronie.
    Que restera t’il dans 4ans ?

  9. C’est à mourir de rire . La caste des fonctionnaires est intouchable. Normal si on considère que la majorité des ministres , députés, sénateurs fait partie de cette administration . Deux poids deux mesures

  10. Et elle va surement le faire à coups de 49.3 , trop drôle ces menteurs et nantis qui se sucrent avec nos impôts . Tant qu’elle y est elle devrait faire passer le contrôle technique pour les deux roues avec le 49.3 cette courageuse dame.

    • Elle pourrait faire passer le contrôle technique à tous nos dirigeants, bien peu auraient la vignette

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