Au-delà des apparences, existe-t-il encore un couple franco-allemand ?

C’est un vieux couple où l’un des partenaires, l’Allemagne, n’éprouve plus qu’indifférence et où l’autre, encore un peu épris, est incapable de séduire. Je ne sais même pas, d’ailleurs, si derrière la rhétorique enflammée de Macron il y a autre chose qu’un sordide intérêt - là aussi, une affaire de vieux couple : faire garantir la dette française par un accord européen, à l’abri de la réputation allemande. Car c’est le résultat du plan de relance européen : la France garantit ses déficits à l’abri de la signature allemande et des protestations des « frugaux ». C’est d’autant moins glorieux que nous allons, de fait, contribuer plus que nous ne recevrons (70 milliards de contribution nette). On m’objectera que l’Allemagne est encore plus nettement contributrice (130 milliards). Mais elle suit plus clairement que nous son intérêt : revigorer le marché européen pour ses exportations, alors que les marchés américain et chinois sont plus incertains.

Quel était l’enjeu de la visite de Brégançon ?

Il était double : entretenir le mythe que le vieux couple éprouve encore un peu de passion. Angela Merkel joue le jeu car elle veut finir son dernier mandat en beauté, avec la réputation d’être une grande « Européenne », alors que ce fut la moins engagée des chanceliers allemands sur le sujet. Rappelons-nous les cavaliers seuls, sur la TVA en 2007, sur la sortie du nucléaire en 2011, l’immigration massive en 2015, sans oublier les crises grecques, résolues de manière punitive - enfoncer les Grecs dans leur endettement - alors qu’il aurait fallu défendre le droit de la Grèce à exploiter rapidement ses hydrocarbures et les écouler pour rembourser sa dette. Mais cela signifierait que l’Allemagne ait une vision géopolitique, ce qu’elle se refuse à avoir, sa seule motivation en politique étrangère étant la diplomatie économique. C’est pourquoi les déclarations communes de Brégançon sur la Méditerranée orientale ou la Biélorussie sont du rafistolage pour camoufler le décalage entre l’envie française de politique étrangère active et la frilosité allemande.

L’Allemagne nous laissera donc seul face au terrorisme ?

La grande illusion d’Emmanuel Macron et même de presque tous les dirigeants français, c’est le fait que les autres membres de l’Union européenne partageraient notre envie d’une Europe puissance. Ce n’est absolument pas le cas, en particulier pas de l’Allemagne. Cette dernière est devenue, depuis la réunification, une puissance de l'appeasement (« apaisement ») : elle n’a jamais participé aux guerres du Golfe ; elle ne paie qu’avec retard sa contribution à l’OTAN. Elle ne s’intéresse pas à la politique méditerranéenne. Sur la question du terrorisme, les Allemands sont des Bisounours (je ne parle pas de la police, qui fait un travail sérieux, mais des gouvernants et de la majorité d’opinion). Ainsi, en 2015, Angela Merkel a-t-elle laissé entrer sans contrôle un million de migrants entre lesquels se sont faufilés des djihadistes. Aujourd’hui, l’Allemagne ne voit pas que la France protège l’Union européenne en s’engageant contre l’islamisme en Afrique subsaharienne.

Comment expliquer la tiédeur voire la complaisance allemande face aux agressions turques en Europe ?

D’une part l’Allemagne réunifiée, en intégrant les très pacifistes Allemands de l’ancienne RDA, est devenue une puissance d’appeasement. Ensuite, il y a la minorité turque d’Allemagne, qui n’est qu’incomplètement intégrée et qui est très sensible à la propagande d’Erdoğan. Enfin, il y a le chantage à la reprise de l’immigration massive que fait Erdoğan à Mme Merkel. Début 2016, elle n’avait pu reprendre la main, après un semestre d’irresponsabilité totale sur le sujets des migrants, que grâce à l’aide d’Erdoğan, qui bloque contre argent les flux de réfugiés ou immigrants.

Entretien réalisé par Marc Eynaud

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22 août 2020 à 9:23

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