D’un iconoclasme à l’autre : Erdoğan pacha, ou le réveil du national-islamisme turc

cumhurbaskani_erdogan_fetih-mesaj

Recep Tayyip Erdoğan serait-il en passe de s’imposer sur la scène internationale comme le nouveau maître de la propagande islamo-nationaliste ?

Ce vendredi 21 août – jour de la prière musulmane -, il proclame aux yeux du monde que le navire de forage Fatih (« le Conquérant »), du surnom de Mehmet II, le vainqueur de Constantinople (1453), a découvert, en mer Noire, le plus grand des gisements de gaz naturel jamais prospectés en Turquie. Avec un objectif : son exploitation pour le bien de la nation dès 2023, année du centenaire de la République turque ! Des mots et des symboles choisis pour galvaniser l’âme ottomane.

Mais surtout, une volonté d’instiller dans l’esprit de son peuple que Dieu, le Tanri ancestral devenu Allah, marche désormais avec lui : « Dieu nous a ouvert une porte vers des richesses inédites », s’est-il enthousiasmé !

La foi musulmane turquisée d’Erdoğan est sa force d’action ; son engagement sans équivoque vers un national-islamiste s’appuie désormais sur un double système de communication : interne, à usage de la nation, par recours constant aux symboles unitaires pan-turcs ; externe, à destination de l’ennemi héréditaire grec-orthodoxe et de ses éventuels alliés de la sphère slave ou de l’Occident européen.

Aussi n’est-ce point un hasard si, ce même 21 août, le néo-sultan a décrété la reconversion en mosquée d’une ancienne église orthodoxe musée d’Istanbul, Saint-Sauveur-in-Chôra, un mois après la réouverture au culte musulman de Sainte-Sophie.

Le monastère Saint-Sauveur de Chôra fut fondé au début du VIIe siècle par Krispos, un proche de l’empereur Phocas (602-610). Son église était connue pour le caractère exceptionnel de sa décoration – mosaïques et fresques – et resta un haut lieu de l’orthodoxie sous les Doukas et les Comnène (XIe siècle). Rosa Benoit-Meggenis relève que « sa position prééminente parmi les fondations de Constantinople s’explique sans-doute par sa résistance à l’iconoclasme ».

L'iconoclasme (des mots grecs εἰκών [eikôn] « image », « icône », et κλάω [klaô] « briser ») est, au sens strict, la destruction délibérée d'images sacrées, pour des motifs politiques ou religieux. L’empereur Léon III l’Isaurien (711-741) fut le premier d’une longue série à interdire les représentations du Christ, de la Vierge et des saints. Il semble avoir été influencé par l’exemple des musulmans.

Depuis le début du XXIe siècle, l’iconoclasme musulman se déchaîne à nouveau : destruction des Bouddhas de Bâmiyân par les talibans afghans en 2001 ; destruction des œuvres d’art antique du musée de Mossoul, en Irak, par des membres de l’État islamique, en 2015. L'État saoudien lui-même, phare du rigorisme wahhabite, aurait ainsi, entre 1985 et 2014, détruit 98 % de son patrimoine historique.

En s’attaquant maintenant à la Chôra, Erdoğan provoque délibérément la Grèce sur le plan politique et l’orthodoxie traditionnelle sur le plan religieux. Il sait la portée symbolique de l’icône et quel fut le rôle de ce monastère dans la défense des images saintes. Il sait que la préservation des fresques sera difficile après sa décision et peu lui chaut l’alarme des historiens d’opposition. C’est donc un moyen de pression supplémentaire sur son voisin grec, rappel d’une vassalité connue en Méditerranée orientale, pour le contraindre à négocier par le chantage à la mort culturelle.

Surtout, homme de foi musulmane stricte, Erdoğan s’est pénétré de sa mission : Allah pour la Turquie ; la Turquie pour Allah. Convertir en mosquée ce lieu historique de résistance chrétienne, réceptacle, à ses yeux, d’une idolâtrie satanique, est une façon, pour lui, de remercier le Ciel qui vient de lui ouvrir de nouveaux gisements vers l’espace vital en mer Noire.

Plus largement, une façon aussi de montrer aux rigoristes islamistes de l’Oumma, qu’il peut être leur nouveau calife.

Et si nous, Occidentaux, voulons aussi nous placer sur ce terrain de la bataille médiatique - pour défendre, tout au moins, nos racines culturelles -, peut-être est-il temps de désigner l’iconoclaste Anatolien pour ce qu’il sera vraiment dans notre futur proche : une incarnation impériale du national-islamisme !

Pierre Arette
Pierre Arette
DEA d'histoire à l'Université de Pau, cultivateur dans les Pyrénées atlantiques

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois