¡Viva el Brexit! devraient dire les Espagnols. Le maudit rocher devrait maintenant resserrer ses liens avec l’Europe… enfin, l’Union européenne.

Maudit rocher ? Les Anciens l’appelaient Calpe. La première frontière fut tracée par Hercule qui ouvrit le détroit, séparant ainsi l’Afrique de l’Europe. Il n’avait – hélas !  diront certains Européens circonspects et méfiants ; fort bien ! diront certains Africains invasifs et volubiles – certainement pas suffisamment écarté les colonnes, puisque aux alentours du VIIIe siècle, les Arabes mahométans, lançant leurs avant-gardes berbères dans le djihad, en firent la tête de pont de leur conquête de l’Espagne.

Le conquérant du rocher, Tariq, fils de Ziyad, dit aussi Tariq le borgne, avait vu juste : du promontoire d’invasion, les avides guerriers du djihad allaient pouvoir s’élancer jusqu’au-delà des Pyrénées après avoir fait s’écrouler l’empire des Goths ! Tariq le borgne, héros cyclopéen, semi-légendaire peut-être, mais qui a imposé à l’Histoire ce nom : Gibraltar, la « montagne du guerrier ».

Conquête et reconquête. Devenu castillan en 1492, le rocher fut pris par les forces anglo-néerlandaises le 25 août 1704 durant la guerre de Succession d'Espagne. Par le traité d'Utrecht en son article X (1713), l’Espagne en reconnut la propriété à l’Angleterre, mais jamais la souveraineté. Malgré une tentative pour reprendre Gibraltar de 1779 à 1783, l’Anglais s’est maintenu militairement sur le rocher stratégique. Humiliations : l’Espagne exige aujourd’hui encore sa rétrocession – il reste sur la liste des territoires à « décoloniser » de l’ONU – et l’abrogation des traités inégaux du XVIIIe siècle.

Mais voilà, depuis le 1er janvier, Brexit is done ! Il y a 33.000 citoyens britanniques, souvent binationaux, à Gibraltar. Eux ont voté contre le Brexit à 96 % ; et ce micro-territoire de 7 km2 à l’économie tertiarisée, nœud d’échanges virtuels bancaires et de jeux en ligne, est aujourd’hui prospère. Un accord « de dernière minute », à quelques heures du 31 décembre minuit et d’un « no deal », a été conclu entre Londres et Madrid pour éviter que soient rétablis des droits de douane stricts. Gibraltar intégrera donc sous six mois l’espace Schengen, sous responsabilité de l’Espagne, via l’agence Frontex. Plus de passeports exigibles ; un « effacement » de la frontière hispano-britannique à l’avantage des « frontaliers » (15.000 personnes vont travailler chaque jour à Gibraltar).

Cet arrangement avec le Royaume-Uni reste provisoire, jusqu’à la signature d’un traité avec l’Union européenne. Alors que le Royaume-Uni conserve sa souveraineté, l’Espagne récupère une libre circulation des personnes et des biens. Ce dont s’est félicité le Premier ministre Pedro Sánchez : « Nous engageons une nouvelle étape. Nous avons atteint un principe d’accord avec le Royaume-Uni sur Gibraltar qui nous permettra d’éliminer les barrières et d’avancer vers une zone de prospérité partagée. Fermeté dans les principes, progrès pour la citoyenneté. » Un progrès pour les citoyens ou pour les affairistes mondialisés ?

Plus Ultra, – plus loin – devise d’une Espagne de Charles Quint aux prétentions universelles, au-delà des portes et du goulet des colonnes d’Hercule. Aujourd’hui, le « Plus Ultra » espagnol s’est resserré autour de ce maudit rocher… pour un dernier combat européen de libre-échange mais aussi de souveraineté !

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03 janvier 2021 à 9:13

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