Dis-moi qui tu fréquentes
L'affaire Camus, à laquelle j'ai assisté de près, comportait déjà le ferment de tout ce qui s'est passé depuis, et nous avons été une poignée, avec Alain Finkielkraut, à nous alarmer de ce que l'antiracisme permette de museler quiconque au bénéfice de celui qui se prétend victime de discrimination. Nous savons désormais à qui a profité le crime.
Rappel des faits pour les étourdis. En 2000, Renaud Camus s'étonne d'entendre à la radio répondre à la question « Qu'est-ce qu'être français ? » par une écrasante majorité de chroniqueurs qui ont coutume de raconter leurs souvenirs d'enfance au fond de la Tunisie, et de dédaigner cette fameuse France de Saint Louis, des Tuileries et de l'École de Barbizon, en la traitant de franchouillarde. Inutile de rappeler les minutes du procès médiatique odieux qui s'est ensuivi (Péan l'a fait dans La Face cachée du Monde), sauf pour attester qu'il était orchestré. Quand l'éditeur ordinaire de Camus, P.O.L, se désiste parce que son père a fait partie lui aussi de cette France de nouveaux arrivants qui, etc., je réclame l'envoi, par courrier électronique, et j'imprime l'avant-dernière version du Journal de Camus que je destine à Claude Durand, mon éditeur, lequel passe pour courageux, mais ne l'a jamais été plus que les autres. Au passage, j'avise Camus que, connaissant le côté provocateur de Philippe Sollers et son habitude de prendre tout le monde à contre-pied, je dépose une copie chez Gallimard.
Ce sont les passages de cette avant-dernière version qui paraîtront dans la presse. C'est donc Sollers, l'araignée au bout du couloir, qui, loin de toute loyauté, a envoyé le texte à ses affidés. Fayard publie la chose avec un avertissement, mais caviarde les livraisons suivantes du Journal de Camus, notamment en ôtant des phrases qu'il citait et dont j'étais l'auteur, le tout après m'avoir acheté dix de mes anciens livres parce qu'il voulait arracher le prix de l'Académie à mon bénéfice, tout en me faisant la leçon à table sur mon amitié avec "ce maurrassien de Camus". Mais tout en le publiant quand même pour se donner le rôle de l'éditeur courageux, car il sait très bien que Camus, véritable Sir Edmund Hillary de la postérité, y a déjà planté son drapeau pendant que tout le monde dort au camp de base.
Ce comportement contradictoire de Claude Durand, typique d'une maison de cinglés menée par un jésuite qui ne sait pas ce qu'il veut, me menace directement puisque Durand refuse presque haineusement un petit livre que je lui soumets et qui s'appelle Enfants sans foi ni loi. J'y montre que la tentation de la rigueur doctrinale, puis de la violence, puis du totalitarisme, est venue de la jeunesse chez les nazis, et qu'elle emprunte le même chemin chez leurs successeurs. Lesquels ? Je ne les nomme pas, mais les vingt années suivantes m'ont donné raison. Nous y sommes. En tout cas, sur le moment, la grande leçon de tout cela telle qu'elle est suggérée par les entretiens livrés par Paul Otchakovsky-Laurens (l'éditeur qui a chassé Camus) est que les ultra-vigilants à propos de l'antisémitisme, ceux qui gardaient en permanence la main sur les manettes du système d'alarme, ont encouragé l'installation en France, pendant plus de trente ans, du pire antisémitisme qui soit, celui qui venait des pays arabes. [...]
Une poignée de Français a donc invité expressément des immigrants toujours plus nombreux à s'installer chez nous puis à déplorer immédiatement leur manque de visibilité dans les médias, puis à remettre en cause le contenu de nos programmes d'Histoire au nom de leur histoire à eux. Cette perversion du vieux monde par ses hôtes les plus récents, avec la complicité des élites parisiennes, dans un bain de chantage religieux et de mythologie violente américaine, était donc le sujet du petit livre que j'ai proposé à mon éditeur, Enfants sans foi ni loi. Camus, à qui j'ai fait lire l'opuscule sur les enfants violents, n'y a rien trouvé que de "bien observé" et en a, de surcroît, placé dans son Journal une citation. Mais hélas, elle a sauté à la demande expresse de l'éditeur, lequel était aussi le mien. La livraison du Journal de Camus comportait donc, cette année-là encore, un blanc disgracieux qui correspondait à la phrase "Quand des enfants portant le foulard palestinien poursuivent d'autres enfants à kippa dans les rues de Paris aux cris d'“À mort Sharon”, peut-on vraiment parler d'antisémitisme français ?"
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