Dimitri Casali : La longue montée de l’ignorance : les Wikipédants ont-ils gagné ? (7)

Les Wikipédants ont-ils gagné ? 

Un nouveau plafond de verre est en train de voir le jour. Il concerne tous ceux qui veulent déconstruire notre héritage. Faire table rase de nos racines historiques, voilà bien un projet totalitaire. L’ignorance a toujours été un outil des dictateurs pour asservir les peuples. Mais si les tenants de la table rase sont omniprésents dans les médias, ils se font ravageurs sur le Net, et en particulier sur Wikipédia. C’est à un vrai plafond que va se heurter la nouvelle génération : celui du réel, car dans les classements internationaux, notre école et nos universités n’en finissent pas de chuter. Comment ne pas s’en inquiéter ? Car la culture est aussi ce qui redonne de la force et de l’espoir, ce qui permet de se sentir rattaché à son pays. Là où le « vivre ensemble » ne propose, pour relier les individus, que le vide de la théorie, la culture générale rassemble les individus car elle leur permet de se sentir reliés les uns aux autres à travers une histoire commune. Que l’Histoire de France ait été faite par tant de nouveaux arrivants qui vouaient un culte à la culture, la littérature, l’histoire françaises n’est pas un hasard.

Grâce à la science, l’homme a cru en la certitude que la connaissance le sortirait des ténèbres. Or, malgré les découvertes scientifiques majeures, l’obscurité est plus que jamais présente à ses côtés. Aujourd’hui, il y a une peur viscérale de la régression, du déclassement, de la déchéance même. La croyance fondamentale dans le progrès, ou même dans le retour des cycles crise/développement, ne fonctionne plus et cela nous oriente vers des solutions radicales. Les actes terroristes au nom des religions en sont l’expression la plus violente. On peut se rendre compte de la montée de l’ignorance et du déclin intellectuel et moral qu’elle entraîne de multiples façons : en regardant la télé, en écoutant la radio, en surfant sur Internet, d’où suintent de partout l’idéologie du relativisme où tout se vaut, le laisser-aller, l’abandon, le reniement, l’habitude de se vautrer dans la détestation de tout ce qui est beau et grand. Nous descendons toujours plus bas dans la déchéance médiatico-politique.

La médiocrité des débats politiques télévisés et des propos politiques ou culturels en est la preuve. Cette plongée dans le néant d’idées, dans l’ivresse narcissique, dans la violence sectaire, dans le culte de l’anecdotique n’est rien d’autre que le reflet du vide absolu de nos dirigeants actuels. Et l’on pourrait se demander pourquoi nous voyons si peu de savants à la télévision. On en voyait dans les grandes émissions comme « Apostrophes », « Bouillon de culture », « Le Grand Échiquier », pour ne citer qu’elles. Les vrais savants sont ceux qui connaissent les limites de leur savoir, c’est-à-dire l’infini de leur ignorance… d’où, sans doute, une grande modestie et une aversion pour les projecteurs.

Tout cela est d’une infinie gravité, car cela reflète l’abêtissement de notre société, conséquence d’un long déclin de l’intelligence, de l’ouverture d’esprit, de l’esprit critique. L’éducation et la culture à travers les médias devraient être le grand dessein du futur, le but ultime, le vrai miracle qui pourrait avoir, avec un énorme investissement financier, un réel effet. Elles seraient les seuls antidotes à la prise en main par des intégristes religieux ou médiatiques transmettant leurs transes à des foules assommées par la misère et abruties par l’ignorance. Lorsque le journaliste Jean-Michel Aphatie déclare que son rêve est de "raser le château de Versailles", on reste dans la même logique, une logique négationniste qui vise à détruire tout ce qui nous a précédés, à détruire nos racines. Le 9 novembre 2016, sur la chaîne de télévision Public Sénat, invité de l’émission « On va plus loin », il explique doctement : "L’esprit politique français est fabriqué par le souvenir de Louis XIV, de Napoléon et du général de Gaulle. Quand on fait de la politique en France, Madame, c’est pour renverser le monde. Moi, si un jour je suis élu président de la République, savez-vous quelle est la première mesure que je prendrai ? Je raserai le château de Versailles […]. Ce serait ma mesure numéro un, pour que nous n’allions pas là-bas en pèlerinage cultiver la grandeur de la France." Voici un bel exemple de crétinisation, d’ignorance contre laquelle il nous faut nous mobiliser, surtout quand il est fourni par un journaliste qui intervient dans les chaînes et radios publiques. Rien n’exige que l’entrée dans l’ère postmoderne se fasse par la trahison des héritages les plus nobles et des idéaux les plus élevés.

Pourtant, en ce début de XXIe siècle, jamais nous n'avons été aussi connectés, avec une quantité d'informations qui semble illimitée. La connaissance semble partout, à portée de clic. Ainsi, Internet a changé la scolarité des élèves. De nos jours, faire ses devoirs ne consiste pas à chercher dans des livres des informations pour pouvoir répondre à des questions, mais à taper des mots-clés dans des moteurs de recherche. Autant dire que cette méthode ne favorise ni la réflexion personnelle ni la mémoire. Sans compter que les "sources" consultées par les élèves ne sont pas nécessairement fiables, y compris l'incontournable encyclopédie en ligne Wikipédia.

Wikipédia offre un parfait exemple de la façon dont Internet organise la connaissance du point de vue problématique de la popularité. Si la population est constituée, comme le disait John Stuart Mills et avant lui Platon, d'une majorité de sots et d'une minorité de sages, la notion même de savoir collectif n'est pas sans poser un problème. De fait, Internet a ouvert la voie à la culture de l'amateur, si omniprésente que, par contrecoup, l'expérience et le savoir perdent du terrain.

Force est de constater que, quinze ans après son lancement, l'encyclopédie en ligne est omniprésente. Google et Wikipédia sont étroitement liés puisqu'en règle générale, le moteur de recherche renvoie en premier résultat à l'article de l'encyclopédie en ligne. Or, Wikipédia est, par définition, bourrée de demi-vérités et d'erreurs. Selon les mécanismes de la e-réputation, l'internaute prend d'autant plus de poids qu'il partage, discute, écrit et commente beaucoup. Que ce soit sur Wikipédia, parmi ses followers actuels et potentiels, sur Twitter ou au sein de son réseau d'« amis » sur Facebook, le plus actif est systématiquement plus respecté, plus écouté. Il en résulte une sorte d'état de nature proche de celui décrit par le philosophe Hobbes, où les plus bavards imposent leur loi et où des sujets futiles qui passionnent les internautes l'emportent sur des sujets ardus. Ainsi, Wikipédia ne compte pas moins de 600 articles (!) rattachés au personnage Homer, des Simpson, contre un peu moins de la moitié au Homère de l'Odyssée... L'article consacré à Star Wars est plus long que celui sur la guerre en Irak, et celui consacré au général français Gallieni – accusé, notamment, d'avoir été un massacreur à Madagascar (avec des chiffres à l'appui totalement faux) - est un monceau de désinformations... Enfin, la notice de l'homme politique André Tardieu, trois fois président du Conseil dans la période 1929-1932, le décrit comme un affairiste crypto-fasciste...

Ce qui est problématique, c'est que de plus en plus de journalistes se contentent de recopier par paresse les informations qu'ils trouvent sur Wikipédia, sans vérifier les sources. En réalité, les domaines où Wikipédia compte très peu d'erreurs sont les domaines scientifiques pointus, où les intervenants sont en grande majorité des spécialistes. Les autres domaines, comme l'histoire ou la politique, sont souvent l'objet de guerres idéologiques. Les contre-vérités se glissent d'autant plus facilement que l'anonymat du Web permet de faire intervenir un ou des contributeurs à sa place. Mais la principale plaie de l'encyclopédie en ligne sont les affabulateurs, ceux qui s'amusent à insérer des erreurs. Rappelons que Wikipédia est contrôlée par des "patrouilleurs" bénévoles volontaires qui peuvent être n'importe qui, spécialistes ou non. Ils ne peuvent donc évidemment pas tout vérifier et n'ont pas la science infuse. Quant à la "neutralité" de Wikipédia, elle est jour après jour totalement remise en cause. Ainsi, il y a deux mois, j’en ai même fait la triste expérience, avec des attaques particulièrement odieuses et diffamatoires puisque sur ma notice Wikipédia, il était carrément écrit : "Dimitri Casali ennemi de la démocratie…" J’ai dû remuer ciel et terre pour faire supprimer cette ignominie. Cette encyclopédie en ligne à laquelle tout le monde a accès et qui peut raconter n’importe quoi devient un véritable péril. C’est devenu une sorte de Big Brother. Bientôt, les gens vont s’autocensurer pour éviter de se retrouver dans ma situation où mes détracteurs viennent impunément contrefaire la vérité à mon sujet...

Malgré cela, nous devons continuer à nous battre pour nos valeurs et repères, pour rester fidèle à la mémoire de nos pères et à notre "Grande Nation", comme on l'appelait au XIXe siècle, qu'ils avaient su bâtir. Car nos ancêtres, c'est nous dans le passé ; nos descendants, c'est nous dans l'avenir...

Dimitri Casali
Dimitri Casali
Historien et essayiste - Ancien professeur d’Histoire, il collabore régulièrement avec la presse écrite magazine. Il est aussi le créateur d’un concept pédagogique novateur, Historock, pour sensibiliser les plus jeunes à l’Histoire par la musique rock (Napoléon l’Opéra Rock)

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