Depuis la Chine, le président brésilien Lula bouscule le monde unipolaire

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Le ton était déterminé, pour ne pas dire brutal. Le 13 avril dernier, le président Lula prononçait le premier discours de sa visite d’État en Chine à l’occasion de la cérémonie d’investiture de Dilma Rousseff, ancienne présidente du Brésil, à la tête de la Nouvelle Banque de développement (NBD), la banque des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) dont le siège est à Shangaï. « Chaque soir, je me demande pourquoi tous les pays sont obligés de réaliser leurs échanges commerciaux en dollars. Pourquoi ne pouvons-nous pas utiliser notre propre monnaie ? Pourquoi ne pas innover ? Qui a décidé que la monnaie serait le dollar, après la disparition de l’étalon-or ? », s’interrogeait-il.

Le dollar n’était pas seul dans son viseur. On y trouvait également la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), accusés d’« asphyxier les économies de pays comme l'Argentine ». « Aucun dirigeant ne peut travailler avec le couteau sous la gorge parce qu'il est endetté », déclarait-il. Pour le président brésilien, à l’inverse, la banque des BRICS pouvait devenir la « grande banque du Sud global » capable de libérer les pays émergents « de la soumission aux institutions financières traditionnelles, qui veulent nous gouverner ».

Tout au long de son déplacement, Lula a multiplié les déclarations en faveur d’un plus grand multilatéralisme dans les relations internationales. « Nos intérêts dans la relation avec la Chine ne sont pas que commerciaux », a-t-il souligné, ajoutant vouloir, avec Pékin, contribuer à « équilibrer la géopolitique mondiale ».

Plus d’une oreille a dû siffler à Washington et dans les cénacles atlantistes. D’autant que Lula a réinsisté, au cours de sa visite, sur la nécessité de trouver une solution négociée au conflit ukrainien. « Les États-Unis doivent cesser d’encourager la guerre et parler de paix, l’Union européenne doit commencer à parler de paix », a-t-il déclaré.

Échapper à l’hégémonie du dollar et aux grandes institutions financières internationales issues de la conférence de Bretton Woods, redonner toute sa place aux Nations unies afin de « construire une nouvelle géopolitique pour changer la gouvernance mondiale » : le Brésil de Lula annonce clairement la couleur.

Dans ce grand moment de bascule auquel nous assistons, le rôle joué par le Brésil, et plus largement par une organisation comme les BRICS, est des plus éclairants car il vient remettre en question le grand récit explicatif imposé depuis Washington.

En mai 2022, le secrétaire d’État américain Antony Blinken présentait l’approche de l’administration Biden vis-à-vis de la Chine. Celle-ci était décrite comme « le seul pays à avoir à la fois l'intention de remodeler l'ordre international et, de plus en plus, la puissance économique, diplomatique, militaire et technologique pour le faire ». Selon lui, Pékin constituait alors une menace susceptible de nous éloigner « des valeurs universelles qui ont soutenu tant de progrès dans le monde au cours des 75 dernières années ». Pas moins. Son ambition étant alors « de créer une sphère d'influence dans l'Indo-Pacifique et de devenir la première puissance mondiale ».

Une lecture largement reprise par une grande majorité des médias occidentaux qui présente les évolutions géopolitiques en cours comme l’ascension d’une puissance menaçante : la Chine. Une Chine prenant la tête d’une coalition d’autocraties bien décidées à renverser « l'ordre international fondé sur des règles » dont les États-Unis sont les garants. Schéma familier qui rappelle la configuration bipolaire de la guerre froide : monde libre contre monde autoritaire, autocraties contre démocraties, guerre des blocs.

Face à cette situation angoissante, le même Antony Blinken indiquait alors la route à suivre dès son premier grand discours consacré, en 2021, à la politique étrangère du gouvernement démocrate : « Qu'on le veuille ou non, le monde ne s'organise pas par lui-même. Lorsque les États-Unis se retirent, l'une des deux choses suivantes est susceptible de se produire : soit un autre pays essaie de prendre notre place, mais pas d'une manière qui fait avancer nos intérêts et nos valeurs ; ou, ce qui peut être tout aussi mauvais, personne n'intervient, et alors nous obtenons le chaos et tous les dangers qu'il crée. De toute façon, ce n'est pas bon pour l'Amérique. » Il fallait donc comprendre : choisissez la bonne hégémonie (la nôtre) plutôt que la mauvaise (la chinoise). Il n’y a pas d’autre choix.

En Chine, le président Lula a voulu démontrer tout le contraire en ouvrant la perspective d’un monde multipolaire et en combattant l’idée de l’inéluctabilité d’un pouvoir hégémonique organisateur du monde. « Nous sommes assez grands pour nous organiser par nous-mêmes », a-t-il fait comprendre aux Occidentaux.

Ce qui n’est pas seulement une image car, comme le notait Le Journal du dimanche, début avril, les BRICS disposent désormais d’un poids économique plus important que le G7, les sept pays les plus industrialisés de la planète, selon des données fournies récemment par Acorn Macro Consulting, un institut de recherche britannique.

Et, surtout, les BRICS ne sont pas une association d’autocraties « revanchardes » et « révisionnistes ». L’Inde comme le Brésil sont des démocraties. La grande bascule à laquelle nous assistons ne peut donc être réduite à une lutte des autocraties pilotées par la Chine contre les démocraties défendues par les États-Unis. Elle traduit un mouvement de réaction à un ordre hégémonique en perte de légitimité et une volonté d’encourager la multipolarisation du monde.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 18/04/2023 à 20:19.
Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

9 commentaires

  1. OK pour la multi polarité, et non l’unipolarité sous dominante U.S…..et surtout avec son Wokisme, contre les Religions millénaires réparties dans les Etats, des plus grands aux plus petits…..Les U.S. ont assuré leur Hégémonie par les Guerres ou en armant d’autres pays….En poussant l’O.T.A.N. au maximum vers la Russie Orthodoxe, grand pays des plus armés, les U.S. nous le démontre….
    Nous en France avec Macron suiviste des U.S. ils nous on mis en Théâtrocratie…

  2. les USA n’ont laissé que des pays en guerre quand ils ont déserté, voir l’Afganisthan , l’Irak, mainteant ils sèment le désordre en Syrie (on en parle à peine), et comme le dit Lula, on doit sortir du dollar, les USA nous ont enfermé dans un système qui ne peut que les avantager, prenons nos monnaies d’échanges comme valeur, et abandonnons le dollar. En effet les membres du BRICS auquel vont peut être adhérer l’Algérie, sont plus fort économiquement que la « poésie » du dollar, les pays soumis au dollar tel la France sont prisonniers de tous les engagements qu’ils prennents’ils traitent en monnaie américaine, voir les sus marins australiens, qui nous sont passés sous le nez par les USA allié de l’OTAN, autant dire un ami qui se fout de se que vous pensez.

  3. Les problèmes posés par la mondialisation sont graves, mais la solution est probablement, comme toujours, relativement simple, même si elle exige du bon sens et de détermination. Je dirai que c’est la phrase de Jean Paul II : « n’ayez pas peur ». Il faut accepter toutes les initiatives qui reposent sur le simple bon sens et assumer courageusement ses choix . Il faut résister aux idéologies mortifères et financières (wokisme, suprématie du dollar, indigénisme, catastrophisme écologique) et appliquer individuellement et sans crainte l’adage : « Fais ce que dois et advienne que pourra » – et surtout pas l’idéal de sagesse de trois magots…

  4. Et pourquoi pas imaginer un renversement d’alliances pour la France. Faire une politique de droite après avoir viré toute l’intelligentsia gauchiste au pouvoir, se retirer de l’Europe en retrouvant notre souveraineté, se rapprocher résolument et participer à cette organisation des BRICS. Soyons lucides, les USA sont de moins en moins nos amis et de plus en plus nos maîtres. Il serait bon que nos dirigeants relisent la fable de La Fontaine intitulée « Le loup et le chien »

  5. Lula est un grand naïf, ou un idéologue digne de son étiquette « de gauche ». Ou les 2 à la fois. Il ne connaît manifestement pas la Chine, et surtout ce qui se passe actuellement autour d’elle: invasion militaire navale dans le Pacifique contre des îles appartenant à ses voisins asiatiques (avec installation de bases militaires fournies en missiles pour bien faire comprendre à qui appartient l’Asie), et même scénario dans l’Himalaya. Tout son discours sur la multipolarité est de la pure démagogie (le Brésil sera avalé par la Chine, et il regrettera les USA….). . On peut critiquer l’impérialisme américain (on le doit même…) mais il ne faudrait pas se vautrer béatement dans celui de la Chine, qui est un impérialisme totalement différent: il est militaire et expansionniste, à la conquête de territoires à annexer pour y transférer sa population Han (l’épuration ethnique des Tibétains et des Ouïghours est un exemple du racisme Han). Les 2 impérialismes (USA et Chine) ne sont pas équivalents.
    Lula n’est pas crédible, mais l’auteur de l’article (qui semble luliste) non plus..

    • Nous ne pouvons pas raisonner comme un Américain, du Sud ou du Nord. Le pape François, aussi raisonne d’une manière qui nous échappe, car il a aussi subi les effets de la doctrine de Monroe. Nous, ayant subi les idéologies mortifères du nazisme et du communisme, sommes plus critiques vis-à-vis de la Chine mais nous méconnaissons les influences anticolonialistes sur les Africains et sommes complètement désarmés face à l’Islam conquérant et nous sommes muets sur les problèmes de l’Inde, qui regroupe bientôt le quart de la population mondiale.

  6. Je pense que c’est une bonne chose car les Etats-Unis dominent un peu trop le monde (économique grâce au dollar imposé) et politique (en fomentant des guerres un peu partout pour protéger leurs intérêts – ils se foutent des nôtres croyez-moi) A suivre donc mais un nouvel équilibre serait sans doute souhaitable. Et pour Lula il abonde dans la recherche de la paix ce qui je semble pas être à l’ordre du jour un comble je trouve ! Mais il y a des milliards à gagner avec la guerre bien sûr sans oublier les intérêts personnels de la famille Biden en Ukraine.

  7. Un article élogieux sur un président de gauche (voire très à gauche) dans BV. ça alors, faut vraiment que le monde ait changé :-)

  8. En règle générale, les pays qui ne filent pas droit aux yeux de l’oncle Sam connaissent rapidement de gros problèmes. Que Lula se méfie, une balle perdue – ou une révolution orange – est si vite arrivée. Ca vaut aussi pour MBS qui a la fâcheuse idée d’utiliser le yuan dans ses échanges commerciaux. Décidément, tout fout le camp …

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