Corse : le syndrome de Munich (1)

Le discours du président de la République à Bastia, le 7 février dernier, a soufflé le chaud et le froid dans le microcosme insulaire. Il consacre la première partie à une vibrante ode à la Corse, "cœur de la République", rien de moins. La Corse est encensée pour son exceptionnelle contribution à l’Histoire de France. Elle est glorifiée pour son sang abondamment versé sur tous les champs de bataille, "au coude-à-coude avec tous les autres Français". En point d’orgue, le chef de l’État lit le pathétique serment de Bastia, prononcé en 1938 en réplique aux visées annexionnistes de Mussolini : "Face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes, sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir Français." Imaginez l’émotion de votre serviteur à l’évocation de cet événement qu’il a vécu gamin.

Cette profession de foi en une Corse française à part entière comble l’attente des loyalistes corses. Déjà ulcérés par les fortes paroles du Président la veille, les séparatistes froncent un peu plus les sourcils.

Et puis, patatras ! à la fin de l’allocution se produit un stupéfiant changement de pied. Le Président fait sienne la revendication d’une autonomie de la Corse inscrite dans la Constitution, cheval de Troie des séparatistes et d’une partie de la bien étrange opposition locale. Cette mesure répond, dit-il, à une "attente exprimée une nouvelle fois lors des dernières élections locales". À cet effet, il annonce sa décision de préparer la refonte de l’article 72 pour y intégrer l’autonomie de la Corse.

Première objection majeure, n’en déplaise au chef de l’État, ce qu’il dit avoir entendu des électeurs n’est pas du tout ce qu’ils ont exprimé. Martelons inlassablement, pour les esprits libres, les résultats significatifs du dernier scrutin territorial. Il importe, avant tout, d’insister sur la désaffection massive sans précédent des citoyens, offusqués (c’est une litote) par l’objet du vote, la mise en place d’une collectivité territoriale unique, qu’ils avaient rejetée par référendum en 2003. On leur demandait, en somme, de se dédire. C’est ainsi que la majorité du corps électoral (50,63 %) ne s’est pas prononcée (47,37 % d’abstentions et 3,2 % de blancs et nuls). C’est la donnée capitale d’un scrutin qui le prive de signification politique.

Bien qu’impressionnant, le score de 56,46 % obtenu par les séparatistes ne représente ainsi que 26,18 % des inscrits, soit un insulaire sur quatre. Cela signifie, d’abord, que les séparatistes n’ont toujours pas acquis le droit de parler au nom de l’ensemble du « peuple corse » mais seulement de leur faction. Ensuite, en droit constitutionnel élémentaire, les vainqueurs ont bien obtenu la légalité du pouvoir administratif, mais nullement la légitimité d’un pouvoir constituant qui exige, justement, l’onction du peuple. Il n’entre, d’ailleurs, pas dans leurs intentions de la solliciter, allez savoir pourquoi ! Peut-être devra-t-on y recourir, en définitive, pour ne pas abandonner à des idéologues subversifs ou irresponsables le choix souverain du destin de la Corse.

L’argument des séparatistes et de leurs compagnons de route présentant sans rire l’autonomie de la Corse dans la Constitution comme le meilleur moyen de l’ancrer durablement dans la République est de la « schizophrénie politique », selon un professeur de droit constitutionnel. Les séparatistes eux-mêmes ne font, d’ailleurs, pas mystère de sa fonction d’antichambre vers l’indépendance. En fait, on singe le calamiteux subterfuge utilisé en 1998 pour la Nouvelle-Calédonie, destiné à forcer son indépendance - foi de témoin direct.

La majorité silencieuse des Corses espérait impatiemment l’arrêt d’une dérive institutionnelle de trente-six années, scandée par l’accumulation de quatre statuts particuliers de plus en plus centrifuges. Elle découvre, désenchantée, qu’une minorité fait toujours la loi.

La promesse présidentielle fait, évidemment, cesser sur-le-champ, comme par enchantement, le chantage à la violence des séparatistes, à l’instar des quatre statuts particuliers précédents. La soumission à la menace porte un nom depuis 1938 : Munich. C’est ainsi que, depuis 1982, la Corse vit en état de Munich permanent, à moins que ce ne soit la France entière.

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Michel Franceschi
Général de corps d'armée (2s) - Parachutiste des Troupes de Marine

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