« Certains hommes espéraient entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie. » Il y a des films que l’on voudrait adorer, encenser, car ils partent d’une intention louable ou, concernant une adaptation littéraire, d’un matériau solide. Mais les attentes sont telles que le résultat déçoit, laissant l’impression désagréable que le metteur en scène a tapé à côté.

Disons-le d’emblée, le journal de bord de Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, paru chez Gallimard en 2016, nous avait transporté. L’écrivain-voyageur revenait sur les conséquences de son terrible accident survenu en 2014, une chute de huit mètres qui lui brisa les côtes, les vertèbres, le crâne, et l’affligea pour toujours d’une paralysie faciale. À la sortie de son coma, Sylvain Tesson lutta pour retrouver ses facultés physiques et entreprit, quelques mois plus tard, contre l’avis de ses proches, une traversée de la France à pied. Celui qui ironisait sur l’absurdité de connaître Samarcande et pas l’Indre-et-Loire débuta son itinéraire par le Mercantour, parcourut la Provence, remonta vers le Massif central, rejoignit la Touraine puis acheva son périple sur les plages du Cotentin.

Résolument antimoderne, introspectif, le journal de bord de Sylvain Tesson décrivait, dans un mélange de tendresse et de mélancolie, cette France rurale en voie de désertification, tenue à l’écart des zones urbaines et périurbaines et relativement épargnée par la laideur de son époque.

L’adaptation cinématographique d’un tel ouvrage pouvait donner lieu à deux approches bien distinctes : l’une contemplative, combinant l’esthétique formelle d’un Terrence Malick et les envolées lyriques de Sylvain Tesson ; l’autre plus classique, articulée autour d’un récit dramatique à la progression clairement balisée, avec éléments de fiction et scènes dialoguées, ramenant le film à un objet tout ce qu’il y a de plus banal.

Malheureusement, le réalisateur Denis Imbert, de crainte probablement de perdre le spectateur, a choisi la seconde option, la plus facile. La même que Safy Nebbou lorsqu’il réalisa son adaptation d’un autre journal fameux de Tesson, Dans les forêts de Sibérie.

Le récit d’origine se trouve ainsi affublé de séquences fictives inutiles (toute l’intrigue autour de la liaison amoureuse du personnage principal), plus ou moins convenues (le « jeune » qui l’accompagne un moment et va évidemment s’éveiller intellectuellement à son contact…), qui alourdissent l’ensemble et tendent à mettre de côté les propos les plus subversifs que contient le livre, notamment sur les méfaits du déracinement. Rien de surprenant, quand on sait que le scénario fut co-écrit avec Diastème, cinéaste gauchiste sans le moindre discernement (ni talent) qui, avec Le Monde d’hier, fantasmait la menace d’un régime totalitaire à la veille des élections présidentielles et justifiait plus ou moins l’assassinat du candidat « d’extrême droite » (!). Sylvain Tesson, compagnon de route de la revue Éléments, appréciera ou non l’épuration de son œuvre par ce genre de personnage…

Toujours est-il que la plus mauvaise idée de ce film est sans conteste ce jeu de va-et-vient permanent entre passé et présent. Passé d’une vie dissolue à Paris, présent d’une marche réparatrice sur les chemins noirs de France. Car à revenir sans cesse dans la capitale, le spectateur se trouve privé de l’immersion promise à laquelle a pourtant droit le héros. Par conséquent, on ne ressent jamais la puissance du périple ni son accomplissement, une fois atteint la Normandie – c’est le pire constat que l’on pouvait faire de ce film.

On se contentera donc du livre – qui se suffit amplement à lui-même – et l’on recommandera, au passage, à ceux qui désirent une expérience cinématographique satisfaisante autour de l’œuvre de Sylvain Tesson, le magnifique documentaire La Panthère des neiges.

2 étoiles sur 5 (pour les extraits du livre en voix off)

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31 mars 2023 à 11:39

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8 commentaires

  1. Et bien voilà qui va m’éviter d’aller voir et le film et Dujardin et éviter surtout de donner de l’argent à un acteur multi-subventionné

  2. Tu écris une histoire de transporteurs longues distances pendant les années 60/70 vantant l’épopée aventureuse des personnages et le réalisateur veut aller divaguer sur des considérations de luttes syndicales .
    j’ai remballé ma copie

  3. On m’avait déconseillé d’aller voir le film, j’y suis quand même allé par curiosité, ayant adoré le livre…
    J’en suis sorti mi fugue-mi raison, partageant une partie de votre analyse, mais assez d’accord avec les commentateurs. Les scènes de lit n’apportent rien, les flash backs permanents sont agaçants, heureusement qu’il y a les paysages…Je pense que l’acteur, qui fait ce qu’il peut, n’a pas le profil du héros. Il est certes bien difficile d’interprèter un Sylvain Tesson, mélange subtil d’esthète et de sportif, dont les finesses d’analyse sur notre époque sont intraduisibles dans un film à grand spectacle.
    Il reste l’exploit sportif, belle leçon d’endurance, pour tous les fans du canapé !

  4. Critique bien sévère. D’autant que le film se dit « inspiré » du livre de Sylvain Tesson et ne prétend pas à une adaptation.
    Adaptation qui aurait été bien difficile puisque le livre est une somme de réflexions inspirées grâce à une description de la France originelle. L’insertion d’une histoire d’amour, comme le choix narratif du va-et-vient, servent à faire vivre l’histoire pour le mode cinématographique. Ma critique ; manquent les paysages forestiers.
    Un bon film, donc, qui ne trahit pas l’essentiel du livre.

    1. Bref, un film, »inspiré » d’un livre dont le réalisateur ne présente rien du fond (« difficile puisque le livre est une somme de réflexions inspirées grâce à une description de la France originelle »), y incruste une histoire d’amour qui n’à jamais existé, et relate un passé de l’auteur qui n’à rien à voir avec le sujet… en un mot c’est Robin des bois inspiré des rois lmaudits de Maurice Druon…

  5. Je ne suis pas d’accord ..Ce n’est pas vraiment comme le livre mais ce n’est pas si mal .
    Il faut y aller pour l’acteur ,les paysages et les si belles phrases de Sylvain Tesson .

  6. Je trouve cet article bien sévère. Si le scénario prend quelques libertés avec le livre, je trouve que l’esprit général du film lui est plutôt fidèle. Nous avons passé une bonne soirée au cinéma ce qui n’est pas rien par les temps qui courent. Les images sont somptueuses, les nombreuses réflexions tirées du livre font mouche et les acteurs sont à la hauteur. Comme pour un clin d’oeil l’auteur fait d’ailleurs une brève apparition à l’image.

  7. C’est généralement le cas : les films sont très rarement à la moitié de la hauteur des livres dont ils sont inspirés quand des usurpateurs s’emparent d’une oeuvre pour la simplifier, à l’usage des ignares pressés avides de divertissement

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