Cinéma : Sublime Panthère des neiges, de Marie Amiguet et Vincent Munier

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Un lien est décidément en train de se créer entre Sylvain Tesson et le cinéma. On se souvient de l’adaptation, en 2016, de son journal Dans les forêts de Sibérie, avec Raphaël Personnaz. Une réussite en demi-teinte dans la mesure où le film renonçait d’emblée à transposer tel quel le récit d’origine, le réalisateur Safy Nebbou ayant choisi d’un commun accord avec l’écrivain de broder une fiction – sympathique mais inutile – autour de cet homme parti s’exiler dans une cabane sur le lac Baïkal.
Dans cette relation naissante que tisse notre écrivain-poète avec le cinéma, il faudra désormais citer le documentaire La Panthère des neiges, tourné pendant l’écriture de son fameux journal de bord publié en 2019 chez Gallimard sous un même titre et sorti ce 15 décembre dans les cinémas.

À l’origine du projet, la rencontre de Sylvain Tesson avec le photographe animalier Vincent Munier. Les deux hommes, se vouant une admiration réciproque, s’étaient mis en tête de partir ensemble dans l’est du Tibet, sur les hauts plateaux, à l’affût d’un animal aussi rare que menacé : la panthère des neiges. À leurs côtés, la réalisatrice Marie Amiguet a tout filmé, épaulée par son assistant Léo-Pol Jacquot.
Le résultat est un condensé d’images sublimes tournées lors de deux séjours de trois semaines durant lesquels Vincent Munier initia Sylvain Tesson à ses méthodes de travail, entre pistage de la faune, techniques de camouflage, observation et prises de vues.

Furtifs, silencieux, afin de ne pas se faire repérer par les animaux, les deux compagnons et leur équipe de tournage traversent non sans religiosité des paysages encore épargnés par la présence humaine, franchissent cols, montagnes et canyons et étudient les bêtes dans leur environnement naturel – le seul qui trouve légitimité à leurs yeux.
Dans ce désert sourd que perturbe par moments le cri d’un oiseau, la course effrénée d’un troupeau d’antilopes ou le beuglement d’un yack, le volubile Tesson fait l’expérience du silence, de la patience, de l’immobilité et de la contemplation, parfois des heures durant et dans des conditions météorologiques aléatoires, sous le patronage de Munier.

Précisément, ce qui démarque La Panthère des neiges des documentaires animaliers plus classiques, c’est la relation complémentaire entre, d’un côté, le photographe et son approche scientifique des choses et, de l’autre, l’écrivain en quête de lyrisme, jamais à court de réflexion poétique ou philosophique – des rôles qu’ils échangent volontiers à quelques reprises.
La capacité d’émerveillement de Sylvain Tesson est telle qu’elle touche parfois à l'ingénuité, comme lorsqu’on le voit interroger son comparse sur sa capacité de concentration, sa force psychologique dans les moments où il doit affronter seul le poids du silence au milieu de paysages désertiques : « Comment ne pas devenir fou à force d’introspection ? », lâche-t-il avec sidération. L’écrivain se pose alors humblement en accompagnateur et laisse la place d’honneur au photographe.

On regarde alors ces gamins partis à la chasse au trésor s’enfoncer dans des grottes pour contempler les traces laissées par les ours et les renards qui les ont précédés ; on les voit poser des caméras cachées afin de surprendre les bêtes, et sympathiser avec des enfants tibétains. Tandis que s’éloignait peu à peu la perspective de voir poindre la panthère des neiges, fil rouge du récit, celle-ci apparaît lorsqu’on ne s’y attend plus – la patience a payé.
A travers les thèmes du film, son approche, ses personnages et ses ambiances, les réalisateurs ont capté le négatif parfait de notre modernité artificielle, clinquante, décadente et vulgaire.

5 étoiles sur 5

 

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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