Cinéma : Piranhas, le nouveau film tiré d’un roman de Saviano

Cinéma : Piranhas, le nouveau film tiré d’un roman de Saviano

Après Gomorra, le roman policier à travers lequel il décrivit en détails l’emprise de la Camorra sur la vie économique italienne et espagnole, et qui lui valut des menaces de mort du clan Casalesi, Roberto Saviano, toujours sous protection policière malgré son recadrage récent par Matteo Salvini sur la question des migrants, voit aujourd’hui porté à l’écran un autre roman de son cru, Piranhas (La Paranza dei Bambini, en version originale).

Réalisé par Claudio Giovannesi, le film suit la trajectoire de Nicola, un jeune Napolitain des quartiers pauvres dont la mère commerçante subit régulièrement le racket des bandes organisées. Déplorant l’âge d’or révolu (et un brin fantasmé) où l’extorsion n’avait pas cours sous la protection de la famille Striano, Nicola se laisse fasciner par le mode de vie de cette dernière et bascule peu à peu avec ses amis dans la criminalité jusqu’à renier, en partie, ses idéaux. Au-delà même de l’argent facile, nous dit Saviano, c’est la quête de dignité qui, très tôt dans le récit et sans grande surprise, telle une fatalité, conduit Nicola à prendre les armes contre des gamins de son âge. Une dignité mal comprise, grossière, bricolée, qui consiste naïvement à se rendre maître d’un destin qui, jusque-là, se jouait de lui ; à allonger la monnaie pour racheter à sa famille un mobilier de mauvais goût (tout en dorures) ; et à séduire une jeune fille impressionnable en tabassant sous ses yeux, dans les toilettes d’une boîte de nuit, le type qui l’a insultée quelques secondes plus tôt.

Le tableau est noir, sordide, suffocant, ne laisse aucune place à l’espoir, et certainement pas à celui d’un avenir meilleur pour cette bande de gamins paumés intellectuellement. Leur espérance de vie, réduite comme peau de chagrin à mesure qu’ils s’enfoncent dans des guérillas ineptes, ne semble pas même les préoccuper, tant qu’ils peuvent encore grappiller quelques menues jouissances de leurs méfaits : un rail de coke, des sapes tape-à-l’œil, un téléviseur XXL, deux ou trois putes, le choix est large…

Le cinéaste nous rappelle, si nous l’avions oublié, que le néoréalisme italien dont ce film est clairement héritier diffère de notre Nouvelle Vague française qui s’en est tant réclamée par le choix du milieu social représenté : en France, la bourgeoisie décadente ; en Italie, les classes populaires et leur lumpenprolétariat. Plus largement, le monde dépeint ici évoque aussi bien Accattone, de Pasolini, que le roman Tout, tout de suite, de Morgan Sportès, ou encore le film Cidade de Deus, des Brésiliens Fernando Meirelles et Kátia Lund. À la différence de ce dernier, cependant, Claudio Giovannesi évite dignement la stylisation outrancière et les effets de montage, et privilégie la caméra portée pour une immersion quasi journalistique. Pourtant, le cinéaste ne fait pas toujours l’économie d’une certaine glorification, mal dissimulée, des dilemmes de ses personnages et peine, in fine, à nous faire croire à la victoire de ces jeunes « piranhas » sur la génération du dessus.

3 étoiles sur 5

https://www.youtube.com/watch?v=JFY829YfSEM

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 28/08/2023 à 13:54.
Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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