Cinéma : Le Cas Richard Jewell, de Clint Eastwood

Clint Eastwood

Poursuivant une démarche entamée avec American Sniper, Sully et Le 15 h 17 pour Paris consistant à faire l’éloge cinématographique des héros ordinaires, Clint Eastwood sort, en ce moment, sur les écrans, Le Cas Richard Jewell.

Le film revient sur les événements de juillet 96 durant les Jeux olympiques d’Atlanta, lorsqu’une bombe éclata en plein milieu d’un concert donné au parc du Centenaire.

Richard Jewell, simple vigile respectueux de l’ordre et aspirant à rejoindre la police, aperçut un sac suspect sous un banc et fit des pieds et des mains pour en alerter tout le dispositif de sécurité et éloigner la foule de la zone à risque. L’attentat fit deux morts, mais le zèle de Richard Jewell aura permis, in fine, de sauver des centaines de vies. Dès lors, le FBI, échaudé par plusieurs affaires similaires, suspecta le vigile d’avoir lui-même posé la bombe dans le but de passer pour un héros.

88 jours durant, Jewell fit l’objet d’une enquête acharnée de la part des autorités fédérales mais également de la presse. Tandis qu’il fut mis sur écoute sans la moindre preuve tangible, que la maison de sa mère fut perquisitionnée et que l’on tenta de le manipuler afin de le pousser aux aveux, les journaux pointèrent du doigt ses échecs professionnels et le fait qu’il vivait encore chez sa mère à plus de trente ans. Certains, même, titraient avec gourmandise « La bombe du beauf » ou encore « Le profil psychologique d’un déséquilibré ». Un champ lexical bien connu chez nos élites médiatiques (nous avons les mêmes en France), qui fleure bon le mépris de classe et la psychiatrisation stalinienne de l’ennemi. Pendant ce temps, le vrai coupable courait toujours. Identifié en 1998 après trois autres attentats à la bombe, celui-ci ne sera finalement arrêté qu’en 2003…

À sa sortie, American Sniper suscita la polémique du fait d’avoir porté à l’écran l’autobiographie un brin vantarde du tireur d’élite Chris Kyle. Le 15 h 17 pour Paris, lui, eut la maladresse de faire jouer ses personnages par les véritables protagonistes de l’affaire dont il fut question, dénotant de leur part un manque de dignité flagrant – la bravoure ne dispense pas d’avoir à se comporter avec retenue et humilité, bien au contraire… Le film d’Eastwood semblait ainsi accréditer, bien qu’involontairement, l'idée que l’héroïsme mène à la récompense médiatique. Un message tendancieux, voire dangereux, envoyé à tous les individus narcissiques et mégalomanes en mal de reconnaissance sociale : « Vous voulez devenir une star ? Jetez-vous donc dans l’arène et devenez des héros. »

Le Cas Richard Jewell rectifie le tir, gomme les tares des deux films précités dans la mesure où le personnage principal est totalement irréprochable et nous rappelle judicieusement que l’héroïsme n’est pas toujours apprécié médiatiquement à sa juste valeur, contrairement à ce qui nous était dit avec Le 15 h 17 pour Paris. Le seul handicap de ce dernier Eastwood est qu’il aborde une injustice qui n’a pas vraiment eu lieu dans la mesure où Jewell n’a jamais fait l’objet d’une condamnation (ce n’est pas Au nom du père, de Jim Sheridan). Ce qui fait que le film manque de matière, n’a pas énormément de choses à raconter, tout juste quelques interrogatoires, une perquisition et un climat médiatique des plus lamentables.

Sans doute Eastwood eût-il intérêt, pour étoffer l’ensemble, à explorer davantage l’angle du FBI, à se faire l’avocat du diable. L’intérêt du Cas Richard Jewell, on l’aura compris, repose donc en grande partie sur ses personnages principaux. Sam Rockwell, qui incarne l’avocat retors et ombrageux de Jewell, vole presque la vedette à Paul Walter Hauser, son partenaire de jeu qui excelle pourtant à nous transmettre à tout instant le désarroi de ce héros qui, par excès de civisme, encaisse les coups sans jamais chercher à se défendre. On retiendra alors d’autant mieux cette séquence poignante où le vigile, comprenant que son cauchemar est terminé, craque pour la première fois à l’issue de 88 jours de harcèlement médiatico-judiciaire.
Comme avec Sully, Clint Eastwood réitère son éloge de l’héroïsme et pointe les failles d’une institution nationale sans pour autant renier son patriotisme. C’est appréciable.

4 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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