Catholiques : la fracture ?
Dans un tweet désabusé, Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de La Vie (ex-catholique), observe, à propos des requêtes en référé déposées par diverses associations, sociétés religieuses et personnalités ayant abouti à la levée des interdictions pesant sur le culte public : « Il est donc regrettable que l’action ait été une nouvelle fois abandonnée à une poignée de requérants et à des organisations disons… peu représentatives du catholicisme de ce pays. Ce sont eux et elles, heureusement mais hélas, qui ont défendu nos libertés maltraitées. »
Notons d’abord que personne n’a empêché Jean-Pierre Denis d’être parmi les requérants. Qu’il regrette les conséquences de son inaction est une chose, qu’il jette l’opprobre sur ceux qui ont pallié ses manques et ses insuffisances en est une autre. Il est un fait que ce sont diverses composantes de la mouvance traditionnelle qui ont mené ce combat contre cette atteinte à la liberté de culte. Les évêques de France ont été absents de ce combat judiciaire. Comme est absente de l’arène judiciaire l’association Croyances et libertés créée par les évêques de France en 1996, quand il s’agit de réagir à des attaques contre l’Église, le Christ ou les chrétiens.
Ce dont n’a pas conscience Jean-Pierre Denis, c’est que la Conférence des évêques de France est, quant à elle, de moins en moins représentative du catholicisme contemporain. En effet, le poids de ceux que Yann Raison du Cleuziou a justement appelé les « catholiques observants » et qui se caractérisent par une identité catholique affirmée et une relation distanciée avec les valeurs du monde moderne ne cesse de croître. Ce catholicisme conservateur accepte le conflit avec les idées dominantes, voire le pouvoir politique, ce qu’a démontré l’épisode de la Manif pour tous. Or, un nombre important d’évêques est encore dans une relation de « sympathie sans bornes » à l’égard du monde moderne, telle qu’elle était exprimée dans la constitution conciliaire Gaudium et Spes.
La question de fond qui sous-tend le recours, ou non, à des procédures judiciaires contre la puissance publique touche à la perception que le personnel ecclésiastique a des relations entre l’Église et la société moderne, peu ou prou issue de la Révolution française et des Lumières. Une tradition intransigeantiste acquiert une nouvelle visibilité dans l’Église alors que tous les postes de pouvoir et de décision avaient été réservés, depuis des décennies, à des partisans « d’accommodements raisonnables » avec les autorités en place. À l’issue des lois de séparation de 1905, les évêques de France étaient partisans d’accepter la création des associations cultuelles voulues par le gouvernement. C’est le pape saint Pie X qui, par l’encyclique Vehementer Nos du 11 février 1906, leur interdit cet accommodement.
Il serait cependant malhonnête de faire aujourd’hui de l’épiscopat français un bloc homogène. Les directives cultuelles, durant le confinement, ont été très différentes selon les diocèses. À l’issue du jugement du Conseil d’État, certains évêques ont remercié les requérants, d’autres les ont ignorés, d’autres, enfin, ont cherché à les instrumentaliser. Tout cela laissera des traces avec un sentiment d’abandon éprouvé par de nombreux fidèles, qui ne sont cependant pas au bout de leurs peines, quand on sait que la moyenne d’âge du clergé français est de 75 ans et qu’ils ne se précipitent pas tous pour que leurs églises soient réouvertes au culte.
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