Il y a 80 ans, Tintin faisait la connaissance du capitaine Haddock. Apparu dans l'album Le Crabe aux pinces d'or, le personnage ne devait plus quitter le reporter à la houppette. Amateur de whisky, fumeur de pipe, grossier, colérique. Un condensé de politiquement incorrect. Sans doute sexiste, peut-être bien homophobe, raciste bien entendu. Tout pour déplaire aux ligues de vertu actuelles mais qui sévissaient déjà à l'époque sur la base d'autres critères.

Impensable de montrer le moindre décolleté, d'où la Castafiore vêtue d'une robe lui montant quasiment jusqu'au cou, flirt proscrit, une aventure amoureuse, vous n'y pensez pas... Tintin apparaît ainsi en célibataire un tant soit peu asexué. Jamais un œil tourné vers une conquête potentielle. Sage comme une image.

Autres temps, autres gardes-chiourmes. En 2021, Hergé se verrait sans doute contraint de dessiner un capitaine Haddock non fumeur, buveur, peut-être, mais avec modération. Cinq fruits par jour et jus de légumes à volonté. Écolo jusqu'au bout de la casquette. Ivre de bons sentiments.

Et puis des excuses et encore des excuses de l'auteur. Pour la grossophobie à l'égard de la chanteuse enrobée, pour l'insuffisance de personnages féminins, le machisme de ceci et puis de cela (outre l'accusation de racisme dont il a déjà fait les frais). L'aventure de Tintin consisterait alors à trouver les mille et unes astuces permettant de contourner les injonctions de la morale ambiante. Tintin au pays des LGBT. Des évitements de justesse, de l'équilibrisme au-dessus des éditos de Christophe Barbier. On a marché sur la planète Bisounours. Peu d'oxygène, apesanteur irréelle. Auteurs de BD, voilà une source d'inspiration !

Le tandem Haddock/Tintin représente la traditionnelle alliance paradoxale du feu et de l'eau. Auguste et clown blanc. Pouvoir et contre-pouvoir. L'un est posé, réfléchi, l'autre, brouillon et spontané jusqu'à l'outrance. D'une nature qui horripile la bien-pensance en marche.

La multiplication des anathèmes tels que « complotistes », « populistes » et autres sentences punitives ne sont que l'expression d'un refus catégorique de contre-pouvoir. À l'heure où la cancel culture rêve d'un monde sans capitaine Haddock, réanimons la flamme de ses 80 bougies. Et longue vie à tous ses enfants !

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19 janvier 2021 à 18:23

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