Amitiés dangereuses : quand l’Élysée se prend les pieds dans le Tapie

Tapie

À défaut de faire figure de procès du siècle, ce sera au moins celui du mois, Bernard Tapie semblant parvenir au dernier acte de cet interminable feuilleton judiciaire l’opposant à l’État depuis, maintenant, un sacré bout de temps, si ce n’est plus et en comptant large. Il y serait question de 400 millions d’euros qui pourraient lui valoir quelque dix années de prison, ce qui n’est pas rien non plus.

On laissera évidemment à notre confrère Philippe Bilger le soin de commenter l’aspect judiciaire de l’affaire, l’auteur de ces lignes étant à peu près aussi plausible en cet exercice qu’un unijambiste convoqué à un concours de coups de pied au cul.

En revanche, il est un autre aspect de cette affaire à multiples rebondissements, consistant en la fascination mutuelle qu’entretiennent "voyous" et hommes d’État ; laquelle mérite néanmoins d’être mise en lumière. En effet, cet étrange attelage n’est pas tout neuf. Pour en revenir aux plus proches décennies, celles de l’après-guerre, on rappellera que c’est durant l’Occupation que ces liaisons, antiques comme le monde, connaissent un début d’officialisation.

Dans le maquis, il faut des hommes sachant se servir d’un flingue : les flics, les paysans et les marlous. Ces derniers présentent cet avantage que seule donne l’intensive pratique de la clandestinité. D’où un Jo Attia, gredin patenté, résistant à peu près avéré ; mais qui, surtout, se distingue par un comportement héroïque durant son séjour à Mauthausen. À tel point que d’autres déportés – futurs députés et ministres – lui devront la vie. D’où, encore, son étrange impunité dans les années qui suivent et son emploi régulier dans ce qu’il est communément admis de nommer les « basses besognes de la République ».

D’autres amitiés naissent encore dans d’autres années à venir, à la fois troubles et algériennes : pour lutter contre les sicaires de l’OAS, on n’envoie pas des sacristains et le moins possible de membres du service action du SDECE, tous peu ou prou acquis à la cause de l’Algérie française. Pas plus que pour briser les grèves insurrectionnelles de la CGT dans le port de Marseille on ne dépêche des Petits Chanteurs à la croix de bois.

Cette parenthèse historique passée, demeure le facteur psychologique. Les binoclards ayant fait de hautes études, naviguant de mariages arrangés en cénacles de barbons, voient, dans la fréquentation de gars à la redresse, une sorte de bol d’air frais. La litanie est sans fin. Valéry Giscard d’Estaing, impressionné par les carambouilles d’un Michel Poniatowski et ses amitiés à la limite de la limite. Jacques Chirac, tout épaté des réseaux d’un Charles Pasqua et ce qu’ils parviennent à accomplir de miracles en une légalité toute relative.

En la matière, Dominique de Villepin ouvre une ère nouvelle, entretenant les relations qu’on sait avec Alexandre Djouhri, autre personnalité "sulfureuse" et montée en grade sous les ors de la République, entre monde des cités et celui des affaires. Il y a là un bagout, une assurance, un charisme de Julot qui s’apprennent plus à l’école du 9-3 qu’à celle des technocrates. Quel frisson de s’encanailler à si peu de frais… Emmanuel Macron, face à un Alexandre Benalla, ne peut que succomber devant ce petit supplément d’humanité interlope que ses proches conseillers, tous plus coincés les uns que les autres, ne sauraient lui procurer.

Bernard Tapie est un peu de ce monde de l’entre-deux-mondes, même si quelques pointures en dessous de ses illustres précurseurs ; ce qui ne l’empêche pas de bénéficier de l’indulgence aussi amusée qu’intéressée d’un François Mitterrand. Partageant le même goût de la transgression et des opérations tordues, ils sont faits pour s’entendre contre un Michel Rocard, puceau aussi idéaliste que protestant. D’où la liste Énergie radicale, lancée par ce binôme, telle une torpille, contre celle, socialiste, menée par l’infortuné futur et ex-Premier ministre, signant au passage la mort politique de ce dernier lors des élections européennes de juin 1994.

Sur celle-là figurait, en quatrième position, une certaine Christiane Taubira. Comme quoi il n’y a pas que les premiers de la classe à tomber dans les filets des aigrefins ; les chaisières aussi.

Sacré Nanard !

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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