Ah ! Ne me brouillez pas avec la mosquée !

Dans une pièce moins connue de Corneille, Nicomède, il est un personnage extraordinaire de lâcheté satisfaite : le roi Prusias. Il pourrait être aussi bien président. Répondant à son fils qui veut résister à l’expansionnisme romain et prône le respect mutuel sans concession, il s’écrie, terrifié et tremblotant : "Ah ! Ne me brouillez pas avec la République !" N’entendez-vous pas les dirigeants de l’Europe actuelle et les autorités religieuses, les journalistes et commentateurs : « Ah ! Ne me brouillez pas avec la mosquée ! » D’aucuns s’extasient devant la fermeté du discours de Macron devant le corps du colonel Beltrame : des paroles fortes, un ancrage historique, des mots durs contre les bourreaux, ce fut bien mieux qu’attendu, mais point de décisions, de passage à l’acte, aux actes, et on attendra longtemps encore, me semble-t-il, au vu de ce qui se prépare.

Tous ceux que révolte notre passivité, y compris celle du peuple, prompt aux marches blanches, aux bougies et ballons, en pleurant plus qu’en hurlant révolte et colère, répètent en boucle que ça rappelle les pires heures de notre histoire, et le nazisme et la collaboration. Mais qui est né après-guerre et a vécu son adolescence et ses années d’étude dans les années soixante se rappelle plutôt le discours ambiant sur le communisme : « Tout anticommuniste est un chien ! » (1965), ou encore « Pas d’anticommunisme primaire ! » La plupart, tétanisés, prenaient des formes pour suggérer que, quand même, des signes, des témoignages (procès Kravchenko, 1959), des faits (Hongrie 1956, mur de Berlin 1961), avant même la Tchécoslovaquie en 68, donnaient à penser et relativiser le paradis des travailleurs. Mais Staline, un peu démonétisé (rapport Khrouchtchev, 1956), était relayé par Mao (il fallait brandir le Petit Livre rouge), avant Pol Pot, formé en France, accueilli avec des cris de joie jusqu’en première page du Monde. Dans les amphis occupés par les étudiants révoltés, ou survoltés, il était proclamé « Il est interdit d’interdire », mais en même temps malheur à qui essayait d’apporter nuance ou contradiction aux orateurs déchaînés et, pis encore: ceux qui voulaient travailler malgré tout étaient bloqués devant les portes des facultés, au nom de la liberté, bien sûr.

L’histoire bégaie, se dit-on en voyant tous ceux qui essaient d’exonérer l’islam des crimes des islamistes, tous ceux qui intentent procès sur procès contre qui emploie des formules qui déplaisent, parfois maladroites, parfois simplement trop justes pour être acceptées, et qui ne sont reconnues que quand la réalité leur saute au visage : viols en Grande-Bretagne, radicalisation dans les quartiers « sensibles », sort des femmes dans ces mêmes quartiers…

Cessons donc de nous référer seulement au nazisme et à la collaboration dans la France vaincue et occupée : ce qui se passe aujourd’hui relève plus de la grande collaboration qui a mené, au début de la guerre, les communistes à fraterniser avec les soldats allemands, plus tard à saboter des armes destinées à nos soldats en Indochine, à se faire porteurs de valises, poseurs de bombes (Danièle Minne) ou commissaire politique d’un camp de rééducation (Boudarel). Même attitude, mêmes compromissions, même pratique de l’anathème jeté sur qui n’y croit pas, n’y consent pas : l’islamophobe d’aujourd’hui…

Alors, la célébration de Mai 68 avec la fine fleur des politiciens et l’inusable Cohn-Bendit, très peu pour qui voyait, dès ce temps-là, pointer l’intolérance et la pensée de plomb derrière les jolis slogans : sous les pavés le béton, sous l’imagination le prêt-à-penser, sous la libération sexuelle le porno partout, le balance-ton-porc et le voile à l’horizon.

Olga Le Roux
Olga Le Roux
Professeur

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