Brigitte Macron soutient la cause d'Adèle Haenel. Quitte à devoir s'exprimer sur cette affaire, la position de l'épouse du président de la République ne m'a pas frappé de saisissement. Je l'aurais parié.

Pourquoi pas ?

Je ne connaissais pas le réalisateur Christophe Ruggia, je n'avais vu aucun de ses films, et notamment pas celui au cœur de sa relation avec Adèle Haenel, et tout ce qui a été allégué contre lui, quasiment de manière univoque, ne m'a pas rendu le personnage particulièrement sympathique si, à l'évidence, il est intelligent et a pu séduire, influencer et peut-être dériver.

Tout est parti de Mediapart et d'une enquête très approfondie menée à partir de la prise de conscience tardive de l'actrice Adèle Haenel et des seules déclarations détaillées de celle-ci contre les agissements à la fois subtils, troubles, ambigus puis franchement transgressifs de Christophe Ruggia.

On a juste appris que celui-ci niait avoir commis les actes qui lui étaient imputés. Un détail dans un processus général à charge.

J'avais d'emblée été gêné par l'allégresse ostentatoire avec laquelle Mediapart situait les révélations d'Adèle Haenel dans un registre féministe et dévastateur qui aurait ouvert un nouveau front et leur accordait, par principe, une absolue crédibilité parce qu'il s'agissait de cette actrice et de ses convictions.

Il a fallu du temps pour qu'une forme de justice réapparaisse. Qui n'a rien à voir, pour moi, avec une sous-estimation quelconque des comportements de Christophe Ruggia s'ils sont établis et donc condamnables. Mais encore fallait-il admettre l'obligation de les passer au crible judiciaire et de ne pas se contenter des « piloris médiatiques ».

Durant quelques jours, on n'a entendu que la solidarité médiatico-artistique faire florès et le corporatisme lâche d'après la bataille se manifester avec d'autant plus de force - en chassant Ruggia de la Société des réalisateurs de films (SRF) - qu'il avait été aveugle ou indifférent avant.

Enfin, Christophe Ruggia a eu droit à une réplique dans Mediapart. Elle a été longue, argumentée, respectueuse dans la forme mais je ne dispose d'aucun élément qui me permettrait d'apprécier, quant au fond, sa sincérité et sa validité par rapport aux accusations d'Adèle Haenel. Reste que je ne peux qu'approuver son dernier paragraphe qui évoque précisément les « piloris médiatiques » qui ont condamné Ruggia avant même que la Justice ne soit saisie et, donc, instaure des échanges contradictoires qui ne soient pas gangrenés par un terrifiant préjugement et une partialité tout imprégnée de bonne conscience parce qu'une telle cause ne pouvait pas avoir tort et ne justifiait même pas qu'on la vérifiât.

Le parquet de Paris a ordonné une enquête sur cette affaire.

Sur ce plan, ce qui m'a déplu dans les propos longuement rapportés d'Adèle Haenel a été sa condescendance ignorante, voire son mépris à l'encontre de la Justice. Comme celle-ci ne s'occupait pas des femmes, elle ne s'intéresserait pas à elle.

Une telle assertion est ridicule alors que, par ailleurs, et heureusement, le combat féministe dominant cherche à améliorer l'écoute de la parole des femmes, en particulier au niveau de l'enquête et des services de police et de gendarmerie.

L'ignorance abyssale du courant dans lequel elle s'inscrit a été révélée tristement encore bien davantage quand Adèle Haenel a énoncé que les agresseurs sexuels étaient « peu » condamnés et qu'un viol sur cent était sanctionné. On peut, on doit discuter et réformer l'efficacité de l'amont, mais je peux garantir qu'il est faux et malhonnête de soutenir que, traduits devant le tribunal correctionnel et/ou la cour d'assises, les prévenus ou les accusés seraient traités avec indulgence. Et seraient si peu nombreux à comparaître. C'est l'inverse, tant pour la sévérité justifiée des peines que pour le nombre d'affaires, certaines sessions d'assises étant composées parfois au moins d'une moitié de crimes de viol.

Quand de telles imputations sont proférées, dramatiquement fantaisistes, elles pourraient s'appuyer sur l'expérience saugrenue d'avoir arraché au peuple le jugement des viols.

En cette matière douloureuse, voire tragique, dans cette effervescence politique, sociologique et médiatique, il ne faut s'étonner de rien. Quand Le Monde publie une page sur les violences sexuelles et qu'il dénonce la faiblesse de la répression, on relève que le point de vue est biaisé et dangereux qui considère que l'État de droit n'est acceptable et humaniste que s'il condamne et que les classements sans suite et les non-lieux n'en relèveraient pas. Ce qui revient à amputer l'univers de la Justice d'une part fondamentale dans l'administration de la preuve et pour l'équité. L'État de droit a le droit, aussi, de douter et d'exonérer. Sinon, il n'existe plus.

Je ne connais pas ce à quoi l'enquête judiciaire permettra d'aboutir. Ma seule certitude est qu'il était temps, enfin, d'avoir un peu de justice et que, si Christophe Ruggia est condamné, il le sera légitimement.

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09 novembre 2019 à 11:19

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