Acte XI : Jérôme Rodrigues blessé à l’œil, Éric Drouet appelle au « soulèvement »

Jerome Rodriguez

La bataille n'est plus celle du nombre. Car, malgré des mobilisations rassemblant relativement peu de monde, en fait, les gilets jaunes l'ont gagnée. Grâce au soutien de l'opinion, à tous ces gilets jaunes par procuration. Et grâce aux mensonges du gouvernement sur les chiffres. Cette fois-ci, moins de manifestants à Paris, dit-on, mais beaucoup plus en province - Bordeaux et Toulouse étant toujours en pointe. Mais aussi Rouen, Évreux, Brest, Toulon et bien d'autres villes.

Désormais, la bataille est celle de l'image, de la communication et du récit. Or, l'image qui restera de ce samedi 26 janvier, c'est incontestablement celle de Jérôme Rodrigues, l'un des leaders des gilets jaunes, proche d'Éric Drouet, évacué après avoir reçu un éclat de grenade à l’œil.

D'autres sources, comme Didier Maïsto sur Twitter, évoquaient des faits plus graves :

"Je viens d’avoir quelqu’un qui est avec Jérôme Rodrigues à l’hôpital. Il descend à l’instant au bloc. Tir de flash-ball à bout portant. Il n’a plus d’œil. Voilà. @EmmanuelMacron @CCastaner #acte11 #GiletsJaunes."

Encore un gilet jaune qui va peut-être allonger la liste de ceux ayant perdu un œil alors qu'il ne représentait aucune menace : les images l'attestent. L'IGPN a ouvert une enquête. La semaine avait été marquée par l'euphémisme indécent de Christophe Castaner sur les quinze gilets jaunes éborgnés et la polémique sur l'utilisation des LBD. Avec cette nouvelle victime, la crise va prendre une nouvelle dimension. Les médias ont mis du temps à remettre en cause les méthodes de maintien de l'ordre et les ordres du ministre de l'Intérieur. Désormais, Mediapart relaie les informations et les décomptes de David Dufresne. On apprenait aussi, sur la vidéo d'un compte Twitter, qu'à Montpellier, quatre militaires en permission qui sortaient d'un restaurant auraient été visés par des tirs de Flash-Ball®. L'un aurait été grièvement blessé à la tête.

Nicolas Dupont-Aignan remarquait que, dans n'importe quelle autre démocratie, le ministre de l'Intérieur responsable de cette situation aurait démissionné. Alexis Corbière appelait, lui aussi, à la démission de Christophe Castaner. En refusant, depuis des mois, toute initiative politique comme un changement de Premier ministre ou, au moins, de ministre de l'Intérieur, et en se contentant d'un grand débat national surréaliste dont il pense qu'il éteindra la contestation, Emmanuel Macron a fait une lourde erreur d'analyse. Il entraîne le pays dans une impasse et, n'en déplaise à Philippe Bilger, Emmanuel Macron n'est pas sorti de la nasse mais s'y enferme lui-même, épaulé par Christophe Castaner. Les deux mois de débat seront deux mois de samedis gilets jaunes. Le débat ne fera que prolonger l'incendie.

Plus de trois mois après son début, ce mouvement inédit en France montre sa persévérance et sa capacité à se réinventer (Nuit jaune évacuée par les voltigeurs de la police, chaînes humaines). Maxime Nicolle ("Fly Rider") pouvait déclarer, à Bordeaux :

"À ceux qui disent que le mouvement s’essouffle, je dis : regardez. Regardez ce qui se passe. On est au mois de janvier. On est toujours là. Et on sera là le temps qu’il faudra. La clef, ça va être la durée de la mobilisation et l’opinion politique internationale. C’est quelque chose qui est en train de plomber le gouvernement français."

Il a été brièvement interpellé dans la soirée...

Mais lors de cet acte XI, ceux qui ne se sont pas réinventés, ce sont les Black Blocs qui, selon, plusieurs témoignages de gilets jaunes, toujours sur Twitter, auraient pu casser et quitter les lieux sans être inquiétés. L'ordre selon Castaner non plus ne s'est pas réinventé. Et cela devient, aujourd'hui, le problème central de cette crise.

Après la mutilation de Jérôme Rodrigues, Éric Drouet, traduisant une colère que le pouvoir ne cesse d'alimenter depuis trois mois, a appelé au "soulèvement par tous les moyens disponibles". Le président de la République et le gouvernement auraient tort de prendre ces déclarations à la légère ou de s'en saisir comme prétexte pour accroître davantage une répression inefficace et contre-productive. Quant aux oppositions, le moment est venu de prendre leurs responsabilités et d'exiger solennellement d'Emmanuel Macron une initiative politique. Ou, à défaut, d'en prendre une.

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Frédéric Sirgant
Chroniqueur à BV, professeur d'Histoire

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