Le 2 novembre, jour où les églises sont singulièrement pleines

Cimetière Toussaint
Cet article vous avait peut-être échappé. Nous vous proposons de le lire ou de le relire.
Cet article a été publié le 01/11/2022.

Le calendrier est émaillé de fêtes et traditions dont on oublie parfois le sens. Le 2 novembre, au lendemain de la Toussaint, c'est le jour des morts. Une fête que nous avons tendance à ne pas regarder en face.

Le 1er novembre, c’était la Toussaint ; le 2 novembre, c’est le jour des morts. La précision est d’importance, car c’est un fait : tout le monde confond les deux. Par ignorance. Et puis, par méthode Coué, parce que l’on vit à l’ère de la « pensée positive » : croire fermement que tous nos morts sont ipso facto saints est apaisant. Nous aurions, du reste, le sentiment d’attenter à leur mémoire en ayant l’air d’en douter.

Une grand-mère de mes connaissances, impotente sur ses vieux jours mais dont la langue, en revanche, allait bon train sans l’assistance d’aucun déambulateur, se déclarait allergique à la canonisation automatique qui, selon elle, rendait service aux vivants - en les rassurant - mais pas aux morts. Elle avait donné des consignes précises à sa descendance : le jour de son enterrement, ne pas lui tresser de couronne de laurier, ne pas chanter ses louanges ni faire son hagiographie. Au contraire ! « Rappelez, mes chers petits-enfants, à quel point j’étais ladre avec le chocolat planqué tout en haut du placard. Faites mémoire de mes persiflages réjouis lorsque j’évoquais, à table, mes vieilles amies qui déclinaient plus vite que moi. » Les pauvres qui font la manche dans le métro ne bombent pas le torse, ils racontent leurs misères pour montrer qu’ils sont dans le besoin. Si tout le monde l’imaginait les doigts de pied en éventail au Paradis, qui se préoccuperait de prier pour elle ? Le jour de ses obsèques, nul ne parla, évidemment, du chocolat, mais on quêta pour dire des messes, une façon de faire la manche pour l’au-delà.

Les églises sont singulièrement pleines, le jour de la Toussaint. On y pleure les défunts. À la campagne, on égraine parfois le nom de ceux qui sont partis dans l’année, et le prêtre lui-même cultive souvent l’ambiguïté entre les morts et les saints, de peur de fâcher et faire fuir cette foule inhabituelle. S'il est un ultime endroit où la religion, persona non grata en Occident, trouve l'asile politique, c'est la mort. La mort d'un proche qui vous force, au moins jusqu'au jour de l'enterrement, à poser votre carte bleue, votre téléphone, vos projets de rencontre, de voyage, de travail, et à répondre à la question eschatologique de ce fils, neveu ou jeune cousin qui vous tire résolument la manche du manteau : « Il est où, maintenant, grand-père ? »

Si l'on doit un jour, comme ont pu le suggérer certains, sacrifier certaines fêtes chrétiennes dans notre calendrier, la Toussaint, fête dérangeante s’il en est, sera à coup sûr dans la première charrette : à force de patience, on a réussi à ficeler Noël dans le Bolduc doré. À force de persévérance, on a réussi à faire fondre Pâques dans le chocolat. Mais pas moyen de toiletter la Toussaint pour lui donner un air convenable. Halloween ? Un flop, un bide, une déroute. Le greffon n'a pas pris. Les panoplies de zombies sont en soldes dès le 15 octobre chez Toys “R” Us, et il n'y a guère que dans quelques salons de coiffure de province que l'on voit encore pendouiller tristement une ou deux citrouilles grimaçantes dans la vitrine entre les shampooings.

Et la Toussaint est toujours là, bon pied bon œil, avec son corollaire, le jour des défunts, ses pots de chrysanthèmes que l'on traîne, ses caveaux dont on gratte la mousse et dont on arrache les mauvaises herbes, ses moments de communion familiale, encore plus intenses qu'à Noël, puisqu’ils incluent aussi les disparus. La terre, les morts... Tout cela vous a des relents barrésiens passablement suspects. Et puis il y a ce pari de Pascal, qui ne vient jamais autant vous chatouiller que ce jour-là : et si c’était vrai ? Si, en effet, tout ne s’arrêtait pas définitivement là, six pieds sous terre ?

Selon une étude du CREDOC de 2019, la baisse du nombre de Français souhaitant une cérémonie religieuse pour leurs obsèques se poursuit. La crise aidant, les crémations, bien plus économiques que les inhumations, auraient le vent en poupe, assorties le plus souvent d’obsèques civiles. Même le cercueil est parfois en carton. Pour le brûler dans la foulée, n’est-ce pas, inutile d’investir…

Pourtant, face à la « glauquitude » - discret hommage sémantique à Ségolène Royal - d’un funérarium cubique en bord de nationale, le service religieux reste une valeur refuge. La garantie d’un peu de solennité, malgré la pacotille. Rien ne peut atteindre la dignité d’un catafalque posé sous une croisée d’ogives. Pas même un cercueil en carton. Que nos morts reposent en paix.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 28/08/2023 à 11:31.
Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

40 commentaires

  1. « l’on vit à l’ère de la « pensée positive » : croire fermement que tous nos morts sont ipso facto saints est apaisant »
    L’idée que tous sont sanctifiés, mis à part pour Dieu, dénature l’essence même du message de Jésus. Dans sa prière au Père, le Seigneur évoque la sanctification par Sa Parole « (Père), Fais qu’ils t’appartiennent entièrement : rends-les saints par la vérité. La vérité, c’est ta Parole » Évangile de Jean 17:17. Le Seigneur prie ici le Père pour les vivants, ce qui suppose que la sanctification n’attend pas la mort mais que le croyant est rendu saint par la rédemption, l’acceptation du salut offert par Jésus-Christ . Le croyant est sanctifié dès sa conversion et en fait l’expérience au moyen des écritures et l’action du Saint-Esprit.
     Soyez bénis,
    Phil

  2. Puis il y a aussi : « Elle y va à quelle heure Tante Germaine au cimetière… Et à la messe ? Parce que j’ai pas envie de la croiser ! »
    Alors que familialement parlant, ces deux jours devraient être ceux de la réunion…
    Mais bon, les histoires de famille, hein Tante Germaine ?

  3. Si la fête des morts, ils pouvaient l’éradiquer, ça arrangerait bien leurs affaires. Le remplacement serait fait ou tout au moins dans les actes puisque faute de combattants, le combat cessa. Cette perversion est organisée par nos gouvernants, puisqu’ils nient que le peuple puissent donner son avis. J’appelle cela une dictature qui ne dit pas son nom, puisqu’ils s’appuient sur le bien-être de la population.

  4. Les gens normaux honorent leurs morts… Le respect du aux anciens qui n’existe plus dans notre société…. Les cercueils en chêne, les mausolées majestueux… il semble qu’il faille laisser la terre aux vivants : nous voyons ce qu’ils en font!
    Pour ce qui est de la commémoration avec la pseudo confusion avec le jour de Toussaint, c’est simple : le 2 novembre, les gens travaillent… alors ils honorent leurs morts le premier novembre. Où est le problème?

  5. Après avoir lu plusieurs livres démontrant la poursuite d’ une vie après la séparation de l’âme et du corps , je pense qu’i faut à présent revenir avec plus de simplicité : On termine avec ces cercueils en chêne épais avec des poignées dorées , encore un signe ostentatoire de richesse des beaux quartiers, on supprime les tombes-monuments très XIX e siècle qui seront dans quelques années vite oubliées; il ne faut plus à présent que les dépouilles prennent tant de places. Aussi, j’apprécie le modèle donné par les musulmans dans leur pays : le mort est placé dans un linceul blanc et enterré à même la terre, ceci, que l’on soit riche ou pauvre, c’est cela qui est vraiment émouvant. C’est pourquoi je préfère la crémation ainsi que la dispersion des cendres dans la nature si possible e,t encore mieux, l’humusation qui est proposé en Belgique et certains États américains : procéder de façon que la dépouille retourne rapidement et vraiment à la terre afin que, au dessus de son emplacement, on plante un arbre; c’est malheureusement encore interdit en France, pourtant, dans les villages cela me semble possible.

    • Bien glauque le crématorium, l’attente d’une heure et demi devant rien ! De plus une dépense énergétique inutile.
      C’est toute une page de notre société qui se tourne, un mort si maquillé pour le rendre vivant, un départ en cendre puis l’éparpillement de celles-ci …
      Il y a beaucoup plus de respect, de souvenirs dans un cimetière de campagne, et une notion de la précarité de nos vies.

    • comme on dit  » les goûts et les couleurs » …. ! n’empêche que  » l’humumation » comme vous dites, va terminer en engrais pour les ronds points, bah désolée, très peu pour moi, sans compter que çà ne va pas  » plus vite » comme vous dites –
      Retourner à la terre comme vous dites, c’est le cas de tout le monde, mais chacun est libre de s’y rendre à son rythme et dans la forme qui lui convient –

  6. « le prêtre lui-même cultive souvent l’ambiguïté entre les morts et les saints ». Pas étonnant si l’on se réfère aux paroles de Jésus au sujet d’Abraham, Lazare et le riche « il y a un grand abîme entre le paradis et le séjour des morts afin que ceux qui voudraient passer d’ici vers vous, ou de là vers nous, ne puissent le faire ». Il semblerait, sauf bien évidemment à respecter nos défunts, qu’il n’y a plus grand-chose à faire pour eux. Je n’imagine pas un instant le brigand sur la croix, aujourd’hui auprès de Jésus, s’il ne s’était repenti avant de mourir .

  7. Malraux, incroyant, a fait des funérailles chrétiennes à son fils. Interrogé, il aurait répondu « Je ne veux pas qu’on l’enterre comme un sac de patates ».

  8. Excellente remise au point, mais à destination des « éveillés » lecteurs. Quant aux autres, ceux qui vont trop vite et à la surface des choses à la mode, qui parviendra à les convaincre de retrouver nos vrais valeurs permettant de marcher droit et bien ?

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