Livre : La France et l’OTAN en Syrie : le grand fourvoiement, de Roland Hureaux

Roland Hureaux, auteur de cet implacable essai qui ne porte pas sur autre chose que les travers idéologiques de notre temps, ne s’inscrirait sans doute pas en faux envers ce commentaire de Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, et qui en constitue la ligne de fond : « Aux USA s’est développé un courant que beaucoup confondent avec l’atlantisme, proche de ce qu’on a appelé le mouvement néoconservateur. Mais ces néoconservateurs ne sont pas des conservateurs. »

Ce sont des idéalistes idéologues, des idéologues interventionnistes qui ont détesté la politique réaliste de Kissinger. Ce courant a fusionné, depuis trente ans, avec les courants droits-de-l’hommistes et interventionnistes. Il est représenté dans une grande partie des médias et resté puissant au Quai d’Orsay. Il consiste à penser que l’Occident est entouré de forces hostiles partout dans le monde : la Russie, les pays émergents, etc., et d’en tirer la conclusion qu’il faut combattre vigoureusement cette évolution. Ils en déduisent, également, qu’il ne faut pas de politique étrangère française trop autonome […]. "C’est une erreur de penser que nos néoconservateurs sont alignés sur Donald Trump » (L’Humanité, 5 mars 2019).

La guerre de Syrie n’est qu’une illustration grandeur nature de l’application – et la conséquence ! - de cette politique. Observateur réfléchi de notre époque, comme on dit, et dont ladite réflexion s’appuie sur la conviction argumentée que les fondements de la politique gaulliste et la spiritualité gaullienne mêlés constituent une base de conduite politique et personnelle toujours hautement valable en ce que, justement, elle s’exonère de toute idéologie (cette "logique d’une idée folle" pareille à une cellule cancéreuse dégénérant fatalement vers le totalitarisme, selon Arendt), Hureaux compile et relie à merveille tous ces petits faits vrais qui permettent, in fine, de faire ressortir les lignes de force perverses animant les protagonistes.

Ainsi n’y eut-il pas plus d’« armée syrienne libre » que de beurre en broche ; point de troisième voie, de troisième force, de ces islamistes modérés que les puissances occidentales eussent pu soutenir. À cet égard, tout le discours "mainstream" tenu par les Filiu, Guetta et Cie apparaît, en regard de l’analyse précise, documentée, incisive de Roland Hureaux, dénué du moindre commencement de preuve. Il en est du même tonneau des allégations d’attaque au gaz par le gouvernement légal syrien.

Il faut lire, à ce sujet, la collation de l’ensemble des indices en ce sens que l’auteur puise parmi les sources les plus sérieuses. Ainsi, dès 2011, l’identité et la couleur doctrinale des forces en présence étaient-elles bien établies : une flopée de groupes d’activistes islamistes nullement "modérés", souvent issus de la lignée Al-Qaïda (auquel s’est adjoint le fameux État islamique) face à l’armée régulière syrienne.

Ainsi les attaquants n’ont-ils pas seulement été, au principal, financés et entraînés par l’Arabie saoudite, le Qatar et autres moyennes puissances arabo-musulmanes, mais aussi… par les États-Unis et la France, information dont c’est un euphémisme que d’écrire qu’on ne peut pas dire que ce fût là une information dont nous fûmes abreuvés ! C’est là, selon Roland Hureaux, non seulement un scandale moral mais une grave faute politique. Notre géopoliticien nous explique de fond en comble en quoi elle consiste, ses tenants (ce qu’il appelle le libéral-impérialisme, reposant en dernière analyse sur une anthropologie foncièrement erronée) et ses aboutissants : l’immigration en Europe - fermement, névrotiquement voulue par l’Union européenne - d’une foultitude d’individus (la plupart syriens) conduits par une mafia turque complice et maîtresse d’œuvre des visées d’Erdoğan, l’exode entraînant dans sa foulée esclavagiste les attentats terroristes que l’on connaît, et ceux que l’on ne connaît pas (encore).

Ce qui est aussi remarquable, dans ce dense essai, c’est que, ni dans le fond, ni dans la forme, il n’apparaît polémique, vindicatif, moins encore "complotiste". C’est, à l’inverse, un livre de raison - les mauvaises langues ajouteraient : et d’oraison. Ils n’auraient, en fait, pas tort, tant ce livre est sous-tendu d’une spiritualité qu’on dirait toute confiante, laquelle confiance est aussi celle en la possibilité du retour prochain d’une politique classique, raisonnée, le pays ayant élu une tête pour la mener ; en un mot : une politique capétienne.

Cette "tête", Hureaux a l’intuition qu’à la vérité, nous ne la connaissons pas. L’avenir politique de la France, et du reste de l’Europe, sera donc, et à tous les sens du terme, passionnant. Cet avenir, le livre refermé et médité, pour le moins, saurez-vous le pressentir et, qui sait, déjà l’aimer.

Hubert de Champris
Hubert de Champris
Journaliste, ancien avocat à la Cour d'appel de Paris, chargé de cours de droit constitutionnel

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