Comment les affaires ont abîmé la France. Nous vous racontons, en 13 épisodes, l'une des affaires les plus marquantes du régime et son traitement médiatique, l'affaire de l'Observatoire, qui faillit bien coûter la carrière d'un politicien plein d'avenir, un certain François Mitterrand. Extrait d'Une histoire trouble de la Ve République, le poison des affaires, de Marc Baudriller, paru en 2015 aux Éditions Tallandier.

Le suspense à peine retombé (lire épisode 12), la presse amie reprend le lent travail sur l’opinion, avec un argument factuel supplémentaire. « Il ne s’agit pas d’être pour ou contre Monsieur Mitterrand en fonction des sentiments que chacun peut avoir sur son action, mais d’être pour ou contre la recherche de la vérité, commente Claude Fuzier, le lendemain du plaidoyer de Mitterrand au Sénat, dans Le Populaire. Hier, les sénateurs se sont prononcés pour. »

Rivarol a beau revenir à la charge pour soutenir Pesquet, les douze pages du petit journal d’extrême droite ne font plus guère le poids face aux grandes orgues médiatiques actionnées par Mitterrand. Comme il le prévoyait, sa notoriété asphyxie peu à peu médiatiquement son contradicteur.

Un mois après la une de L’Express et le portrait de Mauriac, le 1er décembre, Le Populaire titre sur le discours historique en URSS du réformateur Nikita Khrouchtchev et envoie des avertissements à l’État patron…

L'affaire de l’Observatoire continue de s’ensabler consciencieusement, au rythme des sorties contradictoires des principaux acteurs. Six ans plus tard, en 1965, Robert Pesquet envoie une lettre au Monde publiée le 24 novembre. Il y affirme que le promoteur du faux attentat contre Mitterrand n’est autre que… Tixier-Vignancour, aidé par son lieutenant Jean-Marie Le Pen. Le 28 novembre, Le Monde publie la réponse de la « voix de bronze »… qui ne dit rien, « ce qui est son droit », précise Le Monde. « Il est surprenant que ce soit Monsieur Pesquet qui se plaigne aujourd’hui d’une discrétion qui est la protection de tous mes clients. » L’ancien avocat de Pesquet remarque tout de même que cette opinion « étonnante » sur une affaire vieille de six ans éclate dix jours avant le scrutin du 5 décembre 1965, premier tour de l’élection présidentielle qui opposera le général de Gaulle, Tixier-Vignancour lui-même et… François Mitterrand. Le contexte « permet de deviner l’origine de cette basse manœuvre », conclut-il.

Jean-Marie Le Pen, qui dirige la campagne de Tixier-Vignancour, n’a pas été disert. Quelques jours après les aveux tardifs de Pesquet, en 1965, il avait donné au Monde son point de vue sur le vrai-faux assassin putatif de François Mitterrand. « J’ai tout lieu de penser, expliquait-il, qu’il appartient à une police parallèle et que c’est probablement celle-ci qui a monté l’affaire de l’Observatoire. À l’époque, avoue Le Pen, nous nous étions réjouis du pseudo-attentat contre Mitterrand. Nous avions voulu exploiter politiquement cette fausse manœuvre d’un important adversaire. Mais ni Tixier-Vignancour ni moi-même n’y avons joué le moindre rôle. » Le dossier trouble de l’Observatoire est ainsi plein de déclarations la main sur le cœur, sans vérification des médias.

Le mot de la fin est à chercher dans ce commentaire du Monde, ce 28 novembre 1965. Il en dit long sur l’épaisseur de ténèbres qui recouvrent la fameuse nuit. « Il reste qu’un attentat, vrai ou plus probablement faux, écrit Le Monde, a eu lieu dans la nuit du 15 au 16 octobre 1959 avenue de l’Observatoire. Depuis lors, ni le pouvoir ni ses adversaires n’ont voulu faire vraiment la lumière sur cette affaire. » Ni les médias...

Pourquoi ? Le 8 décembre 1959, le jour de son inculpation pour outrage à magistrat, Mitterrand avait déjà évoqué la tentative d’assassinat du général Salan, commandant interarmées. La fameuse affaire dite du Bazooka mêlait tous les milieux troubles du gaullisme. Le 16 janvier 1957, une roquette tirée d’un immeuble voisin avait atteint le bureau du général Salan à Alger, tuant un officier, le commandant Rodier. Les commanditaires de l’attentat craignaient que Salan ne lâche la cause de l’Algérie française. Garde des Sceaux en 1957, Mitterrand était au cœur des secrets. Il assure que Michel Debré, alors sénateur d’Indre-et-Loire, est intervenu auprès de lui pour étouffer les suites judiciaires de cette affaire. Mitterrand en savait visiblement long sur les coulisses du gaullisme. « Faut-il alors conclure qu’une affaire bloque l’autre depuis six ans ? », demandait Le Monde à la fin de ce petit article de bas de page. Bonne question. L’absence de conclusion au psychodrame de l'Observatoire tient-elle à un équilibre de la terreur entre socialistes et gaullistes à l’aube de la Ve République ? La conclusion paraît tentante, et pourtant, les éléments factuels manquent. Les biographes de François Mitterrand en ont souvent fait la victime innocente d’un complot, reprenant ainsi sa version des faits. Mais la presse ne peut s’exonérer de ses responsabilités. Elle n’a pas vraiment conduit d’investigations sur l’étrange affaire de l'Observatoire, pourtant si médiatique. Les politiques se sont arrangés entre eux. Les médias ont servi leur jeu, sans traquer la vérité des faits. Le pouvoir sous la Ve République n’a encore rien à craindre des médias, mais la périphérie de cette première affaire est en réalité limitée. L’Observatoire n’a lancé dans le chaudron des affaires qu’un leader de l’opposition. Les juges et la police n’ont pu jouer leur rôle, Mitterrand dressant devant eux son immunité sénatoriale. L’affaire de l’Observatoire s’est jouée sans morts, sans effusion de sang, sans procès et sans véritable enquête. Elle s’est noyée dans la politique. FIN

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27 août 2022 à 18:00

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