« Vive la révolution conservatrice ! »

Vous vous êtes félicité de la victoire des autonomistes en Corse. Une nouvelle provocation ?

Il est quand même incroyable que les mêmes qui se félicitent de la montée d’un sentiment identitaire au sein du peuple français poussent des cris d’orfraie quand il s’agit du peuple corse. Les mêmes qui félicitent l’État canadien quand il reconnaît la spécificité linguistique du Québec, mais la condamnent quand il s’agit de l’île de Beauté. Je reprendrais volontiers à mon compte ces propos de 2009 d’Alain de Benoist qui moquaient déjà "l’inconséquence […] de ceux qui dénoncent le jacobinisme de Bruxelles, mais le pratiquent chez eux sans état d’âme ; qui voient dans l’homogénéisation culturelle un péril à l’échelle mondiale, mais une nécessité à l’échelle nationale ; qui invoquent le respect de la subsidiarité à l’extérieur des frontières, mais en rejettent l’application à l’intérieur ; qui revendiquent le droit à la différence contre les “eurocrates”, mais refusent de reconnaître ce même droit au bénéfice du peuple corse ou breton". Tout est dit !

Après les Catalans, les Corses ?

Je ne cesse de le répéter, la véritable révolution – une révolution conservatrice - que j’appelle de mes vœux passe par une refondation de notre République. Une refondation qui redonne le pouvoir au niveau où il peut le mieux s’exercer. Avec deux impératifs : l’autonomie et la subsidiarité. Cette dernière consistant à préférer, à compétence égale, le niveau le plus proche du citoyen. Cette approche va, c’est vrai, à l’encontre de tout ce que pense, de tout ce que pratique notre classe politique. Celle-ci est, quasi unanimement, centralisatrice. Et quand elle met en place la décentralisation, c’est pour construire des baronnies qui, dans chaque région, dupliquent le modèle parisien. Une sorte de jacobinisme au petit pied. Et cela ne date pas d’hier. C’est Friedrich Engels qui réclamait "l’extermination des Serbes et autres peuplades slaves, ainsi que des Basques, des Bretons et des Highlanders d’Écosse". Et Karl Marx qui renchérissait : "La prochaine guerre mondiale fera disparaître de la surface de la terre, non seulement des classes et dynasties réactionnaires, mais des peuples réactionnaires entiers. Ceci fait aussi partie du progrès." Et ils restent les modèles de certains…

Est-ce si important ?

C’est Tocqueville qui expliquait que "l’esprit de liberté" ne pouvait se cultiver qu’au niveau des associations locales et des communes. J’en suis persuadé. Mes propres amis reprochent à l’Europe de décider à la place des Français mais trouvent normal que Paris décide en lieu et place de nos communes, de nos départements, de nos régions… Or, c’est à partir de nos territoires, de nos villes moyennes, de nos villages que nous pourrons partir à la conquête du pouvoir. C’est là, dans cette France esseulée, abandonnée, délaissée, désertée, que nous trouverons les bataillons prêts à nous suivre et même à nous précéder. Comme nous ont précédés des personnalités venues d’autres horizons que le petit Landernau politique. Sur le terrain des écoles hors contrat, par exemple, une Anne Coffinier aura été plus active, plus visionnaire que tous nos amis politiques réunis. La Manif pour tous est d’abord l’œuvre d’une « marginale », Frigide Barjot, sur qui pas grand monde n’aurait joué un kopek… Mais, j’insiste, il nous faut d’abord nous appuyer sur cette partie de notre pays, première victime d’un capitalisme financier qui n’a d’égards pour personne et pour rien. Cette France faite de rideaux de fer baissés dans les centres-villes, de quartiers ravagés par le communautarisme, de zones industrielles aux hangars déserts… Face à cela, Emmanuel Macron peut toujours vanter start-up, geek, 2.0 et high-tech, le peuple, le petit peuple, lui répondra : fin des emplois aidés et coupes budgétaires… Moins sexy, sûrement !

Mais qui peut être le porte-voix de cette France ?

Pour faire vite, j’allais dire un Trump à la française. Un Trump pour son obstination à tenir, envers et contre tout, les promesses faites à ces « petits Blancs » méprisés par l’establishment et les médias. Un Trump pour des mots qui disent la réalité sans fard, sans faux-semblants. Un Trump pour son souci du fin fond du pays et pas seulement des centres de pouvoir. Mais à la française, c’est-à-dire inscrit dans une histoire, dans une culture, dans une civilisation qui sont les nôtres. Il nous faut quelqu’un qui ait une véritable empathie pour les plus humbles, une passion charnelle pour la France, une capacité à rassembler notre peuple aujourd’hui désorienté, déboussolé. Un homme ou une femme qui sache nous parler de notre avenir, de notre ambition dans ce monde tout en refusant de sacrifier des pans entiers de notre pays, des pans entiers de ce que nous sommes.

Un Laurent Wauquiez, par exemple ?

Quand je lis l’interview qu’il vient d’accorder à Causeur, j’applaudis des deux mains. Mais il est en pleine campagne électorale… Or, comme il le dit lui-même, "le problème de la droite française, ce n’est pas de trop en dire, c’est de ne pas assez en faire". Si notre agrégé d’histoire ne manque pas de talent, de formules qui font mouche, de reparties cinglantes, multipliant les citations – de Philippe Muray à la philosophe Simone Weil en passant par Michel Houellebecq -, il est également intéressant par ses silences, ses esquives. Rien de précis sur les conditions d’obtention de la nationalité française, pas plus sur la Cour européenne des droits de l’homme… bref, on peut avoir le sentiment qu’on est, une fois de plus, dans la rhétorique. De plus, quand il rend hommage à des personnalités qui l’entourent comme Virginie Calmels, ex-bras droit d’Alain Juppé, ou Jean-Claude Gaudin, le maire de Marseille, on peut difficilement éviter de s’interroger sur la capacité de cet attelage à changer les choses…

Bref, vous ne lui faites pas confiance…

Pour tout dire, je le trouve à la fois séduisant intellectuellement et d’une rare arrogance. Incapable de dire du bien d’un seul de ses opposants – même le ministre de l’Éducation nationale ne trouve pas grâce à ses yeux. D’un sectarisme confondant à l’égard du Front national et de ses dirigeants. Frisant la mauvaise foi, pour ne pas dire l’ignominie, quand il parle à leur propos d’antisémitisme. "Ces gens-là", comme il dit, méprisant, sont aussi respectables que lui. Il faudra qu’il le comprenne. Ses électeurs, eux, l’ont compris depuis longtemps…

Alors, qui pour incarner ce printemps des droites ?

Encore une fois, personne à l’heure qu’il est. Travaillons sur un programme, mettons en avant les expériences qui réunissent, imaginons comment « commémorer » les cinquante ans de Mai 68… mais à notre manière ! Et tenons à distance tous ceux qui, parmi nous, voudraient profiter des questions, des doutes qui nous assaillent pour tenter, petitement, de jouer leur carte… Nous ne serons le marchepied de personne. Nous voulons juste faire la courte échelle à la France.

On se retrouve la semaine prochaine sur Boulevard Voltaire ?

Assez parlé ! Bossons, chacun à son niveau, dans sa mairie, dans son association, dans sa mutuelle, dans son exploitation agricole, dans son entreprise, dans son école, dans son média alternatif. Inventons une autre façon de créer, de fonctionner, d’avancer. À la base, près des gens, au plus près du terrain. Confrontons nos expériences. Tirons-en des enseignements, des propositions plus générales. On se reparlera plus tard. Rendez-vous au printemps.

Robert Ménard
Robert Ménard
Maire de Béziers, ancien journaliste, fondateur de Reporters sans frontières et de Boulevard Voltaire

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