Comment être chrétien et refuser de considérer la souffrance d'un électorat ?

« Contre Le Pen, les catholiques se mobilisent », annonce, dans Le Point, Jérôme Cordelier, en écho à un précédent article au titre sans équivoque : « Mais comment peut-on être chrétien et favoriser Marine Le Pen ? »

« Des » catholiques, aurait-il dû écrire, de façon plus réaliste. Il le sait bien, du reste, puisqu’il s’indigne, dès la première ligne, du mot d’ordre « Macron, c’est non » de LMPT. Il est vrai que si LMPT avait appelé à voter pour celui qui, au-delà du mariage gay, prône la PMA élargie aux couples de femmes et la GPA offshore en attendant que la « société française soit prête », contre la candidate qui promet d’abroger la loi Taubira, on l’aurait trouvée terriblement logique.

Mais il veut se rassurer : « Cette fois, ce sont les plus grandes associations, fondations et mouvements catholiques - Secours catholique, Apprentis d’Auteuil, CCFD, Entrepreneurs et dirigeants chrétiens, Ordre de Malte - qui montent au créneau pour défendre une position radicalement opposé. »

« Grandes »… par l’ancienneté - quand j’était enfant, il était de bon ton pour les généraux à la retraite et les mères de famille d’âge mûr d’aller y donner de leur temps - mais par le nombre ? Si je ne m’interdisais pas de mettre en concurrence des catholiques avec d’autres catholiques, je demanderais combien de personnes ces honorables institutions sont capables de faire descendre dans la rue ? Et avec combien de déambulateurs ?

Mais ne parlons pas d’âge - après tout, le jeunisme n’est pas, en soi, un argument -, ni même de nombre - il n’est pas toujours signe que l’on a raison. Passons sur l’incohérence des positions sociétales - évoquées plus haut - et aussi sur l’irénisme syncrétique face à la montée de l’islam - on le dénonce assez sur Boulevard Voltaire - pour n’évoquer qu’une seule phrase de Jérôme Cordelier : « Réaffirmons notre foi en l’autre, tout homme et tout l’homme, et en nos capacités à construire notre destin commun. »

Tout homme… y compris celui du FN ?

Car à mon tour, je m’interroge : comment être chrétien et hurler de facto avec les loups, les politiques qui dégainent tous azimuts le point Godwin sans jamais s’embarrasser de le justifier, les people qui traitent « l’autre » de « grosse merde », les humoristes qui raillent jusqu’aux cadavres que l’on n’a pas encore mis en terre, piétinant ce qu’il y a de plus sacré : les sentiments d’un fils pour sa mère ?

Comment être chrétien et se laisser frileusement enfermer dans la tour d’ivoire des élites, en écartant les lépreux, les intouchables du FN car la disgrâce dont ils souffrent dans les médias pourrait être contagieuse ? Les rejeter en bloc, même lorsque tel point de leur programme est louable, car leur trouver ne serait-ce qu’une qualité, ce serait déjà se griller ?

Comment être chrétien et refuser de considérer la souffrance - ou l’appeler avec dédain « repli sur soi » - de cet électorat, car n’étant pas lointain, le « Français de souche », même dans la misère, ne serait pas un prochain ?

Comment être catholique, attaché à la doctrine sociale de l’Église, et acquiescer aux options ultralibérales de Macron, dignes du XIX^e siècle, la concurrence mondialiste en plus ?

Un étudiant me soutenait, il y a quelques jours, que l’Église était finalement toujours du côté du manche. L’évêque reçu à la table du notable pour faire bombance, jetant, de temps à autre, quelques sous aux gueux, par-dessus les hauts murs que sont les cotes immobilières des quartiers chics : mais enfin, poussez votre paillasse, mon brave, et partagez donc généreusement votre pitance avec ceux qui arrivent ! Whirlpool vaut Germinal.

« Pour chanter Veni Creator, il faut avoir chasuble d’or. Nous en tissons pour vous, grands de l’Église, et nous, pauvres canuts n’avons pas de chemise. » C’est faux, archi-faux ! m’indignai-je. Mais les articles de Jérôme Cordelier ne sont pas pour m’aider.