[Une prof en France] Sur les pas de Robert Stevenson….

Pour les enseignants, c'est le supplice de Sisyphe…
école

L'écriture est une aventure. Pour nos élèves, cela devient l'exploration d'une terra incognita parfois hostile, toujours mystérieuse. Pourtant, c'est un exercice nécessaire et formateur. Dans les vieux manuels du début du XXe siècle que je compulse régulièrement, la rédaction était un exercice auquel on confrontait les élèves sans filet. On les jetait dans le grand bain et ils le traversaient sans se noyer car, auparavant, toutes les bouées grammaticales avaient été gonflées. Ils maîtrisaient les règles fondamentales de la syntaxe et de l'orthographe, savaient conjuguer et pouvaient utiliser la langue pour ce qu'elle est : un outil magnifique permettant d'exprimer des idées et des émotions. Aujourd'hui, tout est plus délicat. Quand on leur demande d'écrire un texte, ils nous lancent le regard paniqué de l'apprenti fakir devant son premier lit de clous. On pourrait pourtant légitimement attendre qu'ils soient capables de construire quelques phrases, après dix longues années passées à lustrer les bancs de l'école. Mais pour la plupart d'entre eux, l'exercice est plus difficile que d'obtenir d'un vegan déconstruit qu'il respecte la liberté d'opinion de ceux qui aiment la viande, le flamenco et la corrida. Très courte sélection, pour ouvrir les yeux de ceux qui essaient encore de me convaincre que leurs petits-enfants parlent très bien, que les jeunes sont très vifs et connaissent plein de choses, qu'il est bien que les choses aient évolué car, vraiment, l'école d'avant était trop élitiste, que grâce à toutes les vidéos qu'ils regardent, les jeunes sont ouverts sur le monde et hyper créatifs, et bla-bla-bla et bla-bla-bla…

Remarque liminaire : la formation du passé simple, que l'on travaillait depuis deux semaines, était l'un des enjeux de la rédaction.

N., 4e« Il y avait 4 bateau de pirate avec tout nos enemies donc nous les voyâmes arrivèrent il était 100 fois plus grand que nous est il arriva sur la plage avec leur arme est nos arme nous voyâmes la différence entre eut et nous donc nous prenâmes notre courage à deux mains nous avançâmes il y avait les bleus donc les Européen, les jaunes les Asiatique et en rouge les Africains il y avait tout leur roi ils venèrent aussi pour le trésor donc ils ont essayé de trouver un arrangement entre les pirates de Stevenson. »

L., 5e : « Sur le band de sable au loin il vi ses compagnion arrivé il partit en courant est tomba il vu des énemies au loin est partie dans la forê il vu un animal tres gentille est s'assilla a côte d'elle 1h, 2h passa est il part dans un terrier de lapin mais il éte trop gros pui il alla dans une grotte pour se reposer un ours se revéiller mais il était cacher derrière une pierre. Ours parta puis il manger des bais sauvage pourquoi mange des bais ? Son chien le retrouva mala comme un chien. »

Mes collègues, en salle des professeurs, ont tenté de me remonter le moral… Je ne suis pas tant à plaindre, j'ai « des grands, c'est bien pire en 6e… » L'une déplore la présence, dans sa classe, de trois élèves totalement analphabètes ; une autre, qui enseigne les mathématiques, me raconte son cours du matin : elle devait tenir la main d'un élève qui est « non scripteur », comme on dit chez nous, pour l'aider à former des ronds, puis des boucles… Il est en 6e et ne sait pas écrire, ni même tenir un crayon.

J'entends ce que beaucoup pensent : ce n'est pas la faute des élèves mais des enseignants, des parents et du système dans son ensemble. Je reviendrai sur ces points dans une prochaine chronique. Il me semble toutefois qu'on ne peut pas dégager les élèves de leur part de responsabilité. Depuis plusieurs mois, maintenant, nous avons repris les fondamentaux, de la présentation d'une copie aux règles syntaxiques et grammaticales de base, hors de tout programme et de tout cadre légal vu que? théoriquement? je ne suis pas censée leur imposer, comme je le fais, une dictée par quinzaine et deux heures de grammaire pure par semaine. J'ai donc corrigé des centaines de dictées et des centaines d'exercices : les progrès constatés sont assez maigres, quoique réels? chez la plupart des élèves. Pourquoi ? Parce qu'ils ne travaillent pas : les devoirs à la maison sont rarement faits, les leçons ne sont pas apprises, les cours ne sont pas revus, les exercices ne sont pas refaits. Les punitions ne servent pas à grand-chose, cela les occupe pendant les nombreuses heures de permanence qui ponctuent leur semaine, et ils sont si désabusés qu'un zéro ne les bouleverse plus. D'un autre côté, quelle image positive du travail la société leur renvoie-t-elle ?… Pour les enseignants, c'est le supplice de Sisyphe…

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Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

29 commentaires

  1. Comment vous souhaiter bon courage ? Un de mes amis dont le fils est en 4ème avait besoin de cours de maths. J’ai proposé mon aide. Et comme vous dîtes, il n’a rien travaillé. J’ai eu beau lui donner des définitions simples des théorèmes de Thalès et Pythagore, il ne les a jamais apprises et s’est ridiculisé en interrogation écrite. Pourtant son père le pousse à travailler mais là, ce dernier est proche du burn-out parental sur l’apprentissage de son fils…

  2. Ne vous en faites pas, vos élèves dès entrés dans la vie active, iront grossir les rangs des manifestants contre la xème réforme des retraites! Comme ils ne savent pas compter, le calcul de l’assiette des systèmes par répartition leur échappera, comme à ceux d’aujourd’hui…

  3. Combien de bacheliers et même d’enseignants, « professeurs d’école » seraient bien incapables d’être reçus à un certificat d’étude du début du 20° siècle ou même de ne pas avoir une note éliminatoire à une dictée d’examen d’entrée en sixième ?

  4. Nous admirons votre courage . Certainement désespérant d’affronter une telle misère intellectuelle . Certes, les enfants ont une part de responsabilité mais en présence d’adultes qui estime que le savoir doit prendre naissance dans leur petite tête, et quel savoir, celui des vidéos « captivantes », nous sommes en droit de nous demander « qui est le véritable enfant ? ». Entre des parents qui « pondent » et se désintéressent totalement de leur progéniture, des parents illettrés en incapacité d’aider et des pédagogues hors sol, il ne faut pas trop exiger de ces enfants délaissés. L’enseignant à lui seul ne peut pas combler ces grands vides, d’autant que sa hiérarchie ne semble que « compter les points », aucune aide à en attendre et que l’établissement scolaire semble devenir l’auberge espagnole de toutes les assos distinguées, voire les plus loufoques. Si j’étais à votre place et dans la mesure du possible compte-tenu de la surveillance à laquelle vous devez vous soumettre, j’abandonnerais totalement le programme imposé et je reprendrais ces petites tête à la base, en commençant par le B, A, BA. Car il est inutile de tenter de leur introduire dans le crane de nouvelles données qu’ils sont incapables de comprendre voire de lire. Lorsque l’occasion m’est donnée, je rappelle les bienfaits de l’internat. Ces heures d’études surveillées, consacrées aux devoirs, uniquement aux devoirs. Et pour les plus ouverts de mes interlocuteurs, je leur propose d’instituer une heure d’étude obligatoire , surveillée et conduite, à la suite de la dernière heure de cours, pour tous les élèves , internes, en demi-pension, externes. Ce qui serait un petit pansement de sauvegarde. Mais dans une France hypertrophiée par son administration et ses résistances, j’imagine tous les obstacles à franchir pour obtenir l’application d’une telle mesure. Bon courage à vous.

  5. J’ai commencé l’école dans la région parisienne maintenant 93 avec une blouse grise, des plumes « sergent major » plongées dans de l’encre violette, la préhistoire. Toutes les classes sociales étaient présentes mais la plupart d’entre nous avait un but commun avoir le premier prix. Cette objectif largement partagé participait à l’homogénéité du groupe. Aujourd’hui avec mes petits enfants je n’essaie même plus de parler de mes valeurs de l’excellence et du travail bien fait, c’est ringard et dépassé. C’est l’histoire de la poule et de l’oeuf, est ce l’école qui à crée des « j’m’en foutistes » ou s’est elle adaptée à une société qui revendique le droit à la paresse ? On ne peut pas demander à l’école de nager à contre courant d’une société en jachère intellectuelle qui revendique le revenu universelle et confond égalité et égalitarisme.

    • J’approuve totalement , et surtout votre dernière phrase ( » confondre égalité et égalitarisme » )

    • Jack Lang est passé par là, avec ses 80% de la classe d’âge reçue au Bac. Depuis on a même encore progressé !

  6. Permettez moi de penser que les élèves baignent dans un environnement abetissant créé et entretenu par une oligarchie. Heureusement cette oligarchie et ses privilégiés à su conserver des centres d’enseignements élitistes pour leurs progénitures. Le monde de demain, peut être?

    • C’est là où l’oligarchie fait un mauvais calcul. Ils pensent qu’en formant leurs rejetons cela suffira. Mais on connaît bien des fils à papa inaptes et incapables. À une époque pas si lointaine que cela, les ingénieurs, les philosophes, les grands commissaires, les fonctionnaires qui tenaient la route… étaient souvent issus des classes populaires et effectuaient un parcours brillant ou honorable grâce à l’instruction républicaine qu’ils avaient reçue.
      Les gens du peuple les plus simples savaient écrire, produire de belles phrases sans fautes.
      Actuellement, on voit ce que donne au niveau politique le cousinage entre gens de l’ENA, hauts fonctionnaires, députés et sénateurs qui se reproduisent entre eux dans une même classe sociale ( bourgeoisie socialo caviar, faux anarchistes, verts ou rouges, oligarchie hors sol). L’intelligence et le génie frappe n’importe où, dans les milieux pauvres comme dans les autres.
      Un exemple célèbre : Jésus, issu d’un milieu pauvre, a transformé la vision de l’homme. Vision que l’on s’évertue à détruire de nos jours ; mais ceci est une autre histoire ou aventure ?

  7. La presse n’a pas échappé au cataclysme ambiant de notre langue . Confondre , par exemple, apporter et amener, écrire qu’un troupeau de vaches ONT traversé la route aurait autrefois empêché un élève d’entrer en Sixième .

    • Et ne parlons pas de la forme ampoulée et faussement docte : Ce qu’il se passe » au lieu de « ce qui se passe » qui s’est maintenant généralisée. Un bonne réforme de monsieur Pap N’diaye serait d’offrir un Bécherel à tous les enseignants.

  8. Chère profresseur, avec vos exemples vous frôlez quand même le Guiness de la nullité, ce qui est grave, c’est que votre « classe » montre tout l’échec du primaire, apprentissage de la lecture perdu dans le pédagogisme imbécile, ceci étant majoritairement du aux insuffisances des dits « professeurs des écoles » sélectionnés dans des spécialités à mille lieu de l’enseignement, où sont les anciens instituteurs sortis de l’école normale ? L’école française est morte.

    • Je suis en retraite depuis 18 ans, et j’ai toujours refusé de me plier à certaines contraintes. Résultat : ma retraite est plutôt faible à côté de celle d’une collègue entrée dans l’enseignement 1er degré le même jour que moi, qui s’est syndiquée et a manifesté. La différence d’échelon en est la cause, les rapports d’inspection aussi, où on me reprochait des leçons d’Histoire non conformes aux directives.
      Ma plus belle récompense : voir d’anciens élèves quarantenaires traverser la rue pour venir m’embrasser.

  9. Ç en est fini de la trës sainte «  égalité » il y aura désormais ceux qui savent la différence entre un participe passé et un infinitif ..et les autres. Il y aura un niveau d’excellence pour ceux qui savent lire et connaissent nos classiques. Tous les autres seront les idiots utiles qu’on peut diriger à sa guise , incapables de comprendre incapables de s’exprimer c’est le peuple rêvé d’une dictature robotisèrent.

  10. Et que penser de ces maîtres et de ces professeurs qui avaient une mission de service public, qui se sont laissés mener par le bout du nez par une hiérarchie gauchiste devenue folle et qui, plus ou moins idéologiquement complices, se sont couchés devant l’autorité de leurs « supérieurs ».

  11. Je soupçonne l’auteur de sélectionner les pires exemples en les faisant passer pour des généralités applicables à tous ses élèves. Le mépris, qui est palpable, est gênant. Est-ce qu’on peut enseigner correctement en méprisant ainsi ses élèves ? Cela m’étonnerait.
    Ma fille en 5ème écrit mille fois mieux que cela (et fait ses devoirs, étant première de sa classe par ailleurs), donc je m’interroge sur la véracité des propos tenus ici, ou en tout cas sur le choix des exemples sélectionnés. On doit avoir affaire à une classe de ZEP illettrée sans aucun Français de souche.

    Il faudrait aussi reconnaître qu’auparavant, on apprenait le passé simple et le subjonctif en CE2, quand aujourd’hui on les enseigne seulement en milieu de collège. C’est inadmissible. Comment ensuite reprocher aux adolescents de ne pas les maîtriser, alors qu’on a tant tardé à leur enseigner cette compétence élémentaire ? C’est malheureusement trop tard à 12 ans passés.

    Bien sûr qu’il faut pousser les enfants à se dépasser, mais tous ces commentaires négatifs sur la jeunesse (nous avons une belle jeunesse française, à ne pas mettre dans le même sac qu’une autre jeunesse), le mépris qu’ils constatent venant des générations plus âgées, leur pèse. N’oublions pas tout de même qu’un jour ce sont eux qui s’occuperont de nous, et qu’ils pourraient bien nous rendre ce que nous leur avons donné de méchanceté et de mépris.

    • Il n’est pas nécessaire de faire partie du corps enseignant pour constater cette incapacité à parler et à écrire à peu près correctement le Français. Rassurons-nous toutefois de voir toute cette jeunesse vivre son ignorance sans le moindre complexe ni la moindre envie d’y changer quoi que ce soit. Et d’ailleurs, à quoi bon être éduqué, quand on a l’avenir d’un allocataire du revenu universel ou de celui qui pédale pour livrer sa malbouffe au premier cité ?

    • Pas d accord avec vous, ceci n’est hélas pas exagéré. J’ai moi même vu une élève de 12 ans incapable de découper une feuille car elle ne savait pas tenir une paire de ciseaux. Et elle ne venait pas d’une ZEP ! Cet effondrement que décrit l’auteur ne vient pas des profs, mais des nombreuses réformes faites durant 40 ans, qui ont amené à 0 le niveau des élèves. Redoublement interdit, pas de notes, car trop  » stigmatisantes  » ….etc. Il ne faut plus instruire, mais juste se mettre sans cesse au niveau des élèves sans chercher à l’améliorer.

  12. Incroyable , cette école se trouve vraiment en France , on a du mal à y croire . A qui la faute voilà la bonne question à se poser , si quelqu’un a la réponse je prend .

  13. Finalement, la pension serait une bonne formule pour ces élèves qui ne font pas d’efforts. Il leur faut un encadrement du matin au soir. Devoirs et révisions obligatoires. Un peu de sport chaque jour. Uniforme réglementaire.

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