On nous le répète depuis longtemps, les Russes ne sont pas des gens rationnels. L’âme slave, sans aucun doute. C’est elle qui nous empêche de comprendre certains de leurs actes qui échappent à tout entendement. Comme bombarder, à Zaporijia en Ukraine, une centrale nucléaire pourtant sous leur contrôle ou encore saboter leurs propres gazoducs dans la mer Baltique.

Lorsqu’en septembre dernier, l’annonce a été faite que des explosions avaient endommagé les gazoducs sous-marins Nord Stream reliant la Russie à l'Allemagne, certains dirigeants occidentaux n’ont donc pas attendu les résultats d’une enquête officielle pour pointer du doigt la Russie. « La fuite de gaz à grande échelle de Nord Stream 1 n’est rien de plus qu’une attaque terroriste planifiée par la Russie et un acte d’agression contre l’Union européenne », avait également réagi, sur Twitter, Mykhaïlo Podoliak, conseiller du président Zelensky.

Les médias n’avaient pas non plus perdu de temps. Dix jours à peine après le sabotage, le journal Le Monde évoquait l’enquête d’un quotidien suédois, Dagens Nyheter, « réalisée à partir des données du trafic maritime », qui indiquait que les autorités suédoises « auraient eu des soupçons sur de possibles agissements de la Russie avant même les explosions des gazoducs ». Des détails troublants étaient rapportés. Un navire de la marine russe avait été repéré, naviguant « de façon inhabituelle » dans la « future zone du possible sabotage ». Des informations qui, à en croire Le Monde, avaient été « en partie » confirmées par la Marine suédoise.

Un mois et demi plus tard, le 18 novembre, un procureur suédois indiquait que son enquête concluait à un sabotage. Les analyses réalisées montraient des restes d'explosifs. Il ajoutait que l'enquête préliminaire allait continuer afin de déterminer si quelqu'un pouvait être « poursuivi pour crime ».

Fin décembre, on attendait toujours. Interrogé par le New York Times, Daniel Stenling, le chef du contre-espionnage suédois, prétendait ne pas pouvoir désigner un auteur mais aidait grandement à l’identifier. Il fallait, d’après lui, replacer ce sabotage « dans le contexte d'un espionnage russe éhonté ».

La presse américaine s’interroge

À ce moment-là, en réalité, la presse américaine commençait à exprimer ses doutes. L’article du New York Times en témoignait. Si la Russie avait détruit ses propres gazoducs, pourquoi prenait-elle maintenant des mesures coûteuses pour les réparer, s’interrogeaient les auteurs de l’article ? Ils ajoutaient qu’il fallait bien comprendre que cette affaire comportait « plusieurs niveaux d’intrigue et de multiples acteurs aux motivations diverses ».

Suivait alors cette remarque, qui en disait long, à propos de la décision du gouvernement suédois « de garder secrets les détails de son enquête auprès de ses alliés occidentaux ». Ce qui, d’après les journalistes américains, avait provoqué de discrètes spéculations selon lesquelles les enquêteurs avaient peut-être résolu l'affaire mais avaient choisi de rester « stratégiquement silencieux ».

Quelques jours avant, le 21 décembre, le Washington Post avait également fait paraître un article sur le sujet dont le titre avait le mérite de la clarté : « Aucune preuve concluante que la Russie est derrière l'attaque de Nord Stream. » La condamnation de Moscou avait été immédiate et générale mais, après plusieurs mois d’enquête, de nombreux responsables occidentaux affirmaient « en privé » que la Russie n’était peut-être pas le responsable. Ces « sceptiques » soulignaient le fait que Moscou n'avait rien à gagner à endommager ses pipelines qui alimentaient l'Europe occidentale en gaz naturel et lui généraient des milliards de dollars de revenus annuels.

Le Washington Post affirmait également qu’une « évaluation de 23 responsables diplomatiques et du renseignement de neuf pays » avait conclu à une absence de preuve de l'implication de la Russie.

L’enquête de Seymour Hersh

C’est dans ce contexte que, le 8 février dernier, un journaliste d’investigation américain, Seymour Hersh, publiait sur son blog une longue enquête intitulée « Comment l'Amérique a supprimé le pipeline Nord Stream ».

Hersh n’est pas le premier venu. Aux États-Unis, c’est une légende du journalisme. En 1970, il avait reçu le prix Pulitzer après avoir révélé le massacre de Mỹ Lai au cours duquel plusieurs centaines de civils vietnamiens avaient été tués par des soldats américains. D’autres enquêtes célèbres avaient suivi portant sur des programmes secrets de la CIA ou encore sur l’arsenal nucléaire d’Israël. En 2004, il avait révélé les mauvais traitements infligés aux détenus irakiens par des soldats américains dans la sinistre prison d’Abou Ghraib.

En 2015, sa réputation avait cependant commencé à fortement décliner après un article consacré à la mort de Ben Laden au Pakistan qui remettait en cause la version officielle. Par la suite, ses prises de position sur d’autres sujets sensibles comme la guerre en Syrie ou l’empoisonnement de Sergei Skripal avaient contribué à en faire un auteur controversé. On lui reprochait, notamment, le fait d’être parfois trop dépendant d’une unique source anonyme.

Ce qui, il faut en tenir compte, est aussi le cas de sa nouvelle enquête consacrée au sabotage des gazoducs dans laquelle il se réfère à une source ayant eu « une connaissance directe de la planification opérationnelle ». C’est le point faible de son récit et ses détracteurs ne manqueront pas de le souligner. Pour autant, cela n’invalide pas de facto ses affirmations. Et, après tout, si la piste russe semble remise en cause, pourquoi ne pas explorer la piste américaine ? À suivre...

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12 février 2023 à 16:30

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32 commentaires

  1. On sait pertinemment que ces gazoducs ont toujours déplu aux USA et à sa CIA. A la question : à qui profite le crime, il n’y a qu’une seule réponse ! Il faut être borné avec des oeillères pour avoir accusé la Russie !

  2. Le lendemain de ce sabotage , c’est ce qui avait été dit . Un bateau américain avait été vu dans les parage , ainsi qu’un anglais … Poutine avait raison … Ça me rappelle les armes de destruction massives des Irakiens de Saddam Hussein … Les Américains sont d’effroyables menteurs …C’est bien connu ! Du moins de ceux qui n’acceptent pas leurs diktats .

    1. C’est tellement confortable d’accuser les US de tous les maux comme les Africains nous accusent pour cause de colonialisme.

  3. Si ce sont les U.S.A., c’est un fait de guerre, et de la part d’un pays qui se dit notre allié, mais le principal Patron de l’O.T.A.N.
    L’U.E. est un fétu de paille, avec une Impératrice (non élue) qui peut commander des milliards de doses à injecter, mais pas de se faire respecter par un Allié….En fait ils ne me tromperont pas, nous sommes les sujets, les dépendances, les colonies…..Bourbon ou Wodka il faudra choisir ! ! ! Moi j’aime les 2, mais pas pour me faire exploser ! !

  4. Qui fût assez candide pour ignorer que les yankees et le sémillant Biden avec sa cohorte de faucons , ne soient pas les instigateurs de cette sinistre affaire ? comment faire comprendre aux teutons de ne point se servir auprès des gaziers russes mais de rentrer dans le giron (ou plutôt le circuit américain) , un avertissement qui fera comprendre aux récalcitrants que c’est l’Oncle SAM qui régit les benêts occidentaux dans tous les domaines ; Trump avait certes des défauts mais son ingérence dans le monde occidental était certes moins dirigé.

  5. Tout tourne autours des ricains , les donneurs d’ordre se sont eux , le diminué président US avait vendu la mèche quelques temps avant les faits , rien ne se fait sans leur accord .

  6. Les Russes ne sont pas débiles et défendent leurs intérêts contrairement à notre Jupiter qui n’en n’a rien à faire de la France et des Français. Stop à cette guerre et à la livraison d’armes. À quand un sondage pour savoir si oui ou non la France doit continuer à envoyer des armes et de l’argent (des Français) à l’Ukraine?

  7. La seule question en suspens serait : les Anglais seraient ils complices des Américains et des Norvégiens dans cette affaire ? Juste après l’explosion, Liz Truss (1ère ministre a l’époque) aurait envoyé un sms, via son iPhone, à Antony Blinken : ‘’ it’ s done ‘’ . Va savoir

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