Turquie : les Ottomans n’obéissent pas toujours aux injonctions occidentales…

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On connaissait les subtilités byzantines ; les finauderies ottomanes n’ont rien à leur envier, telle qu’en témoignent les dernières élections turques, groupant à la fois scrutin présidentiel et législatif.

Les résultats ? Serrés, tel que prévu. Avec un léger avantage pour le président sortant : 49,51 %, contre 44,81 pour son challenger, Kemal Kiliçadoglu, et 5,1 % de miettes étant abandonnées à l’outsider Sinan Ogan. C’est donc la première fois que, depuis presque vingt ans, Recip Tayyip Erdoğan devra affronter un second tour, hypothèse dont il accepte manifestement l’augure. Et ce dans une position qui ne lui est pas la plus défavorable, l’AKP, son parti islamo-conservateur étant dorénavant sûr de conserver la majorité au Parlement, aidé par le MHP (extrême droite kémaliste), lui assurant 322 sièges contre 213 pour l’opposition.

Comme toujours, deux données lourdes ont été oubliées par nos commentateurs hexagonaux.

La première est la désormais traditionnelle opposition entre votes des villes et des campagnes ; un peu comme en France, mais aussi tel que partout ailleurs, en Iran ou aux USA. Pour résumer, la jeunesse des villes veut du changement, alors que leurs parents de la Turquie périphérique, n’en veulent à aucun prix. À ce titre, il n’est pas incongru de voir en Erdogan une sorte d'anti-Macron, ou de Mélenchon à l’envers, puisque s’appuyant plus sur l’électorat conservateur rural que celui, progressiste, de mégapoles telles qu’Istanbul ou Ankara.

La seconde, qui échappe à la plupart de nos observateurs européens, à l’exception notoire de Jean-François Colosimo, patron des éditions du Cerf et fin connaisseur du sujet, c’est que quel que soit le résultat du second tour, rien ne changera : « L’ensemble du spectre politique turc est nationaliste, y compris chez les Kurdes. (…) Mais il y a dans la coalition d’opposition qui soutient Kemal Kiliçadoglu, des hyper-nationalistes d’extrême droite et même des dissidents de l’AKP d’Erdogan. » Mieux, poursuit-il : « Le ciment nationaliste qui lie ces partis d’opposition maintiendra la Turquie dans sa posture néo-ottomane. Que ce soit dans les Balkans avec la Bosnie, dans le Caucase avec le soutien turc à l’Azerbaïdjan face à l’Arménie, (…) ou en Méditerranée face à Chypre ou à la Grèce, vise clairement à la domination, de la Mer noire jusqu’à l’Atlantique. ». Soit ce qui est de longue date écrit sur ce site, rappelons-le malgré tout.

Et c’est là qu’il est licite de se poser quelques questions sur la personnalité de Recip Tayyip Erdoğan. Qu’il ait voulu se conduire en nouveau sultan, rien de très légitime, telles qu’en témoignent les premières années de son règne : rapprochement avec les chrétiens, apaisement vis-à-vis des alevis, musulmans chiites de l’espèce dissidente face au sunnisme majoritaire, et même main tendue aux Kurdes. Ou de l’art de se comporter en sultan, en charge d’un empire auquel il estimait devoir rendre sa grandeur. La position impériale lui imposait donc de composer avec toutes ses minorités. Mais notre homme, malgré un islamisme de façade, a fini par perpétuer l’héritage de Kemal Atatürk, et pas forcément dans ce qu’il a de meilleur, cet homme étant grand admirateur de la Révolution française.

Résultat ? L’hypothétique naissance d’une sorte de « Turc nouveau ». Pour lequel n’est vraiment « Turc » que le turcophone et sunnite, les alévis, de la bonne ethnie, mais pratiquant un islam déviant et les Kurdes, certes sunnites, mais pas de la bonne ethnie, ne sont que des Turcs de papier qu’il convient au plus tôt d’éliminer. Quant aux chrétiens et aux juifs, d’origine grecque ou arménienne ? Des minorités à vaguement préserver. En ce sens, Erdogan est plus un Robespierre à l’ancienne qu’un sultan new-look. C’est ainsi.

Nos médias ayant fait campagne contre lui seraient bien inspirés de se plonger dans le vote des Turcs de la diaspora, ces derniers ayant largement voté en faveur du maître stambouliote. Peut-être parce qu’au contact de nos sociétés progressistes, avec mariage homosexuel et féminisme devenu fou à tous les étages, ils puissent venir à nous tenir pour civilisation en état de mort cérébrale. À défaut de s’en féliciter, au moins est-il licite de les comprendre. Résultat le 28 juin.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

16 commentaires

  1. eh oui, les voix d’Allah sont impénétrables surtout pour un esprit européen, enfin pour le moment.

  2. Depuis son accès au pouvoir il n’a de cesse de donner des avantages de tous genres aux islamistes les plus fondamentalistes toute en dénigrant toute opposition démocratique qui émane du peuple.
    Son but bien sûr, c’est de rétablir l’empire ottoman; empire qui a plongé la moitè du monde connu à l’époque dans des guerres sempiternelles, de la piraterie à l’échelle industrielle et de l’obscurantisme clé en main.
    Le peuple turc mérite mieux que cet islamiste frériste qui se déguise en homme politique « moderne » habillé à l’occidentale pour mieux répandre son poison idéologique.

  3. Quelque soit le gagnant, l’empire ottoman se reconstruira ayant conservé ses valeurs de patriarcat et d’honneur vertueux face à une Europe en pleine décadence et se vautrant dans l’homosexualité (LGBT au plus haut de l’Etat), le féminisme (les chiennes de garde), la peur de tout (épidémie ou climat) et la haine du travail (manifs depuis 3mois)

    • Parfaite analyse, hors de portée apparemment de la plupart de nos concitoyens…quelle qu’en soit la raison.

  4. Depuis 1974 , la Turquie occupe militairement la partie nord de Chypre , destructions en masses des biens des chypriotes , exil forcé sans espoir de retour , ligne « verte » des casques bleus de l’ONU depuis et ….
    Chypre est membre de l’Union Européenne et la Turquie membre de l’OTAN , donc un pays membre de l’OTAN a bien conquis la moitié d’un pays membre de l’ UE et on n’y trouve rien à redire …

  5. On aime ou on déteste Erdogan mais une chose est sûre c est qu il défend son pays pas comme Macron

    • Rien que ça me le rendrait presque sympathique ! Lol !
      En tout cas, si on n’a pas d’autre choix, je préfère un tyran patriote à un tyran qui déteste son pays.
      Si tous les chefs-d’Etats s’occupaient uniquement du bien-être de leurs concitoyens, on aurait une paix royale !

  6. Mustapha Kemal aurait bien sur été contre le mariage gay. Ainsi que toutes les autres déviances qui ont suivi

  7. « les Ottomans n’obéissent pas toujours aux injonctions occidentales… » a-t-on remarqué à quel point, tout ce que ce que veut le « monde occidental » n’est qu’une succession d’echecs et suscite de plus en plus ouvertement le rejet de la part de cette immense majorité du monde qui n’est pas « occidental »? l’Europe est une désolation pour les peuples qui en sont membres, les sanctions contre la Russie sont contre productives, la dé-dolarisation progresse à grands pas et le « wokisme » est un véritable repoussoir. Les pantins aujourd’hui aux commandes des pays qui furent jadis les maîtres du monde, s’entretiennent mutuellement dans l’illusion d’une puissance qu’ils ont eux-mêmes contribué à anéantir. Pendant ce temps, le monde « extra-occidental » s’organise et regarde, amusé, s’éteindre ces vieilles puissances qui ne sont plus que l’ombre d’elles mêmes.

  8. Analyse particulièrement éclairante , merci , ou l’on voit en face le la Turquie , une UE machine à détruire les peuples les nations et les cultures.

  9. Notre civilisation, rongée de l’intérieur, est certes bien malade mais c’est la République qui est en état de mort cérébrale

  10. Comme pour la Tunisie, ce sont les turcs de l’étranger qui feront certainement la différence , Erdogan peut dormir sur ses deux oreilles ! Hélas pour nous !

    • Je disais t’en mieux pour nous peut-être que cela fera taire encore un peut ceux qui déjà envisagent d’accélérer l’entrée de la Turquie dans l’Europe

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