[Tribune] La police nationale croule sous 2,7 millions de procédures

fichier fiches

Il y a quelques jours, un article paru dans le journal Le Monde évoquait les 2,7 millions de procédures, pour l’essentiel des plaintes, actuellement stockés dans les commissariats. Et d'une manière plus détaillée, les journalistes, par grandes entités policières telles que la préfecture de police de Paris ou bien encore la direction nationale de la sécurité publique, expliquaient que le flux entrant des plaintes, nettement plus important que le flux sortant, c’est-à-dire les affaires traitées, allait peu à peu bloquer totalement le fonctionnement des services d’enquêtes. Bien entendu, le constat ainsi que la possible conséquence évoquée par cet article de presse sont parfaitement justifiés.

L’enquête réalisée à cette occasion par Le Monde ne semble pourtant pas avoir eu des répercussions importantes. Reprise çà et là par quelques médias, l’actualité proche-orientale a largement occulté ce qui est pourtant un phénomène majeur, parce que révélateur de la totale désorganisation de notre système national de sécurité intérieure et, partant, de notre système judiciaire.

Au-delà de l’image choc que peuvent nous renvoyer les chiffres, ils nous en apprennent énormément sur ce qu’au fil du temps est devenue la police nationale. C’est ainsi que formatée pour lutter contre la criminalité du siècle dernier (1,3 million d’infractions constatées en 1975 pour près de 3,5 millions en 2020), on découvre qu’elle a été incapable de prendre les grands tournants sécuritaires qui s’imposaient.

La paralysie de fait révélée par cet amoncellement de procédures non traitées au sein des commissariats (et il en est de même au sein des brigades de gendarmerie) nous en apprend beaucoup sur l’organisation hiérarchique interne de la police. Sur son organisation missionnelle et fonctionnelle. Sur ses relations avec les victimes d’infractions pénales. Sur ses méthodes de travail. Enfin, sur les relations qu’elle entretient avec la Justice et le droit.

Porter plainte est évidemment un droit et une nécessité pour tout justiciable. Levier facile pour tout nouveau ministre de l’Intérieur, ceux-ci n’ont pas manqué, au cours des dernières décennies, de développer des outils allant en ce sens. L’un des derniers, la préplainte en ligne, s’il s’est montré politiquement porteur, s’est aussi, techniquement, montré dévastateur. En effet, les services de police, déjà submergés par des plaintes « classiques » qu’ils ne pouvaient pas traiter vu leur nombre, ont été littéralement laminés par l’ampleur du phénomène. Il faut souligner qu’une telle initiative aurait dû entraîner le doublement des effectifs chargés de traiter ces nouveaux dossiers. Tel n’a évidemment pas été le cas. Bien plus, il fut taillé, par un certain Nicolas Sarkozy, de grandes coupes chez les policiers et les gendarmes.

Face à de telles initiatives politiques, certains chefs de services, commissaires ou officiers, ont bien tenté de faire remonter le problème. Ils ont, la plupart du temps, été sèchement remis en place par une haute administration davantage soucieuse d’affichage et de promotion que d’efficacité. Dès lors, une petite « cuisine » interne, parfois avec l’aval des procureurs eux-mêmes soumis à la pression du nombre, a permis d’évacuer, en particulier par le biais des « vaines recherches » (VR, dans le jargon judiciaire), des dizaines de milliers de plaintes impossibles à traiter.

Ce phénomène, qui touche nettement plus les services de la sécurité publique du fait qu’elle traite principalement de la petite et moyenne délinquance, touche également la police judiciaire. En ce qui concerne cette dernière, c’est davantage la gestion des effectifs qui est à montrer du doigt.

Soumis, comme le reste des services, au problème des mutations, il arrive souvent qu’un enquêteur, lorsqu’il change de service, laisse sur place un « portefeuille » bien garni. N’ayant pu traiter la totalité des affaires qui lui ont été confiées, il laisse en suspens, et pour un temps qui peut être relativement long, celui de son remplacement, un tas de dossiers dont certains ne seront jamais repris. En police judiciaire, le portefeuille moyen d’un enquêteur est de quelques dizaines de dossiers. En sécurité publique, ce chiffre peut atteindre plusieurs centaines.

L’organisation de la police nationale, en particulier pour ce qui concerne le traitement judiciaire, n’a jamais été conçue pour traiter une telle masse d’affaires. L’augmentation significative du nombre des infractions, en particulier de celles liées à la petite et moyenne délinquance, la stagnation, pour ne pas dire la diminution, du nombre des policiers, spécifiquement dans les services de police judiciaire, enfin, la facilitation des dépôts de plaintes ont fini par disqualifier totalement une institution qui, dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, ne gère plus que les urgences.

Dans ce contexte délétère, deux autres difficultés viennent s’ajouter. La première, technique, concerne le logiciel informatique de traitement des procédures. Né dans la douleur, cet outil informatique se révèle d’un usage difficile, notamment du fait de son manque de souplesse. De très nombreux enquêteurs s’en plaignent régulièrement sans que les réponses attendues ne soient apportées par l’administration. Second écueil, des relations parfois compliquées avec certains magistrats qui, sur des affaires qui visiblement ne mèneront nulle part, demandent des actes de procédure supplémentaires souvent inutiles et toujours chronophages. À cet égard, il convient de souligner une nouvelle fois la totale inadaptation de notre procédure pénale aux véritables enjeux sécuritaires de notre temps. Trop formelle, peu réactive dans sa mise en œuvre, trop compliquée juridiquement, elle est véritablement devenue une entrave à une bonne administration de la justice.

Jusqu’à ce jour, y compris dernièrement avec les réformes mises en place par Gérald Darmanin, aucune réponse satisfaisante n’a été apportée. Toutes relèvent du colmatage et ne font qu’aggraver une situation déjà dramatique. Ainsi le manque d’attractivité dont souffre aujourd’hui la police judiciaire procède de cette dérive qui a fini par faire des policiers des « paperassiers » et non plus de véritables enquêteurs.

Pour tenter de sortir de cette situation, c’est donc un très vaste chantier qu’il conviendrait d’ouvrir. Tout d’abord, en repensant l’organisation de la police à l’aune des missions qui sont les siennes désormais et non pas de ce qu’elles furent. Ensuite, en refondant totalement le Code de procédure pénale afin de le rendre plus souple et plus réactif à la criminalité que l’on observe en ce début de XXIe siècle. Enfin, en redonnant à la haute hiérarchie policière les compétences techniques élémentaires dont disposaient, il n’y a pas si longtemps encore, les véritables « patrons ». On peut en effet devenir préfet sans avoir été commissaire de police !

À l’heure où l’on s’interroge sur les relations abîmées, ces dernières années, entre les Français et leur police, le temps est venu de prendre de grandes décisions. Les policiers y sont prêts, mais les politiques le sont-ils ? Aucun signe ne le laisse transparaître car aucun d’entre eux, toutes tendances confondues, ne se pose les bonnes questions. Dès lors, les dossiers vont continuer de s’accumuler dans les commissariats, vraisemblablement jusqu’à ce que le maison police, comme l’hôpital, comme l’école, comme la Justice… ne s’écroule définitivement !

Olivier Damien
Olivier Damien
Conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté, Commissaire divisionnaire honoraire

Vos commentaires

23 commentaires

  1. La police croule car la justice aux ordres de la macronie doit prouver que la délinquance baisse et pour cela ne retient que les rarissimes condamnations que les juges n’ont pas pu stopper…

  2. L’engorgement de la police par autant de procédures prouve que nos institutions ne sont plus adaptées à la vie actuelle en France. Cela me rappelle une situation qui date de plusieurs années. Porte de la Vilette, on avait construit le grand parking, mais on avait oublié d’en prévoir l’accès : cela devient une manie française qui consiste à mettre la charrue avant les bœufs. A quand la prochaine ?
    Victorine=31

  3. ce matin la presse annonçait le déplacement de Darmanin dans le Val d’Oise bien sur par dans les quartier mais dans un commissariat de police, ce ministre ment à tour de bras mais ne fait strictement rien de positif, sauf comme toute la Macronie à saborder et détruire la France.
    Justice et intérieur vont de paire mais l’un comme l’autre ne sont là que pour l’islam, rien pour les Français, rien pour la police tout pour la destruction de la France, ainsi va notre pays incapable de prendre des lois efficaces pour le bien du Pays et des Français

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Revivez le Grand oral des candidats de droite

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois