L’affaire du temps de travail des militaires n’a pas fini de faire couler de l’encre. La preuve ? La belle tribune que neuf écrivains de marine viennent de signer dans le FigaroVox : Loïc Finaz, Patrice Franceschi, Olivier Frébourg, Erik Orsenna (de l’Académie française), Yann Queffélec, Daniel Rondeau (de l’Académie française), Sylvain Tesson, François Bellec et Patrick Poivre d’Arvor. Le titre de cette adresse au président de la République, chef des armées, est sans équivoque : « Refusons ce diktat contraire aux intérêts de la nation ! » Et l’on ne peut qu’approuver cet abordage, sabre au clair, de l’institution européenne.

Ce que les membres de cette éminente association, qui compta dans ses rangs Jean Raspail, qualifient de « diktat », c’est tout simplement l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne intimant l’ordre, à la France, d’appliquer à nos armées une directive européenne sur le temps de travail. Une décision de justice, que cela plaise ou non. Un arrêt qui serait sans appel.

Rappelons que cette directive sur le temps de travail date de 2003, qu’une directive européenne est un acte juridique - en clair, une loi - pris conjointement par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, c’est-à-dire le Conseil des ministres de l’Union. Donc, cela ne tombe pas du ciel et il serait, d’ailleurs, intéressant de faire un peu d’archéologie parlementaire, tant européenne que française, pour voir si les angles morts de cette directive avaient été bien identifiés par nos ministres et parlementaires de l’époque. Facile, me direz-vous. Cependant, lorsqu’on voit, dans un souci du détail qui force l’admiration, que cette directive n’avait pas manqué de mentionner les cas auxquels les États membres pouvaient déroger (« cadres dirigeants ou d’autres personnes ayant un pouvoir de décision autonome, main-d’œuvre familiale, travailleurs dans le domaine liturgique des églises et des communautés religieuses »...), on peut se poser quelques questions. Deux interprétations possibles. Soit, dans le logiciel de nos parlementaires et ministres de l’époque, il était inconcevable qu’une telle directive puisse s’appliquer à nos militaires, tant le principe fixé par notre loi nationale du « tout temps, tout lieu » s’imposait comme une « loi d’airain », pour reprendre l’expression même de nos écrivains de marine. Soit, tout simplement, plus tragiquement j’allais dire, on n’avait pas pensé aux militaires. Ce qui n’est pas improbable…

Le Président, chef des armées, s’élève avec vigueur contre cette décision de justice. Le ministre des armées aussi. Très bien. Mais on a envie de leur répliquer : et l’État de droit ? On pensait que l’on ne discutait pas une décision de justice… Lorsqu’on milite pour une « souveraineté européenne », au détriment de notre souveraineté nationale, comme le fait inlassablement, passionnément, efficacement, Emmanuel Macron, on ne peut, en même temps, se lever contre l'arrêt d’une cour de justice dont notre Cour de cassation, du reste, ne manquera pas de reconnaître la suprématie, au même titre qu’elle reconnaît depuis longtemps la primauté des règles de droit de l’Union européenne sur nos lois et règlements. « L'Europe est notre avenir », clamait Mitterrand, modèle de Macron en matière d'européisme. Nous y sommes. Concrètement.

En fait, Emmanuel Macron veut garder cet attribut de souveraineté pleine et entière que constitue une armée opérationnelle comme la nôtre et, donc, pour cela, soumise à une loi nationale de disponibilité sans faille et, en même temps, il se veut un défenseur zélé de la machine européenne. Ce n’est pas possible. C'est, en quelque sorte, le message envoyé par les juges européens. On voudrait être trivial, on dirait qu'on ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. On préférera alors la sentence de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

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20 juillet 2021 à 20:45

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