Tabac au lycée : la loi Évin va-t-elle partir en fumée ?

Reverra-t-on, la semaine prochaine, des groupes d’élèves et quelques adultes fumer devant les établissements scolaires ? Une cible potentielle pour les terroristes. Des représentants de plusieurs ministères (Intérieur, Santé et Éducation nationale) se seraient réunis jeudi pour étudier les mesures à prendre.

Il n’en faut pas davantage pour que des journaux titrent : "Le tabac bientôt autorisé dans les établissements scolaires ?" Ou annoncent que Jean-Michel Blanquer "pourrait autoriser les élèves à fumer dans l’enceinte des établissements, au nom... de la lutte contre le terrorisme". D’autres précisent, malgré ses démentis, qu’il envisagerait de "laisser le choix aux chefs d'établissements : autoriser la cigarette dans l'enceinte des lycées ou contraindre les élèves de fumer à l'extérieur". Éprouveraient-ils quelque plaisir à épingler un ministre dont les déclarations ont, jusqu’ici, reçu un accueil plutôt favorable ?

Rappelons la réglementation. La loi Évin de 1991 a posé le principe de l’interdiction de fumer dans les locaux à usage collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs. Le décret Bertrand de 2006 a étendu cette interdiction, notamment à l’enceinte des établissements scolaires, y compris les cours de récréation. Les lycéens et personnels fumeurs n’ont donc d’autre solution que de fumer à l’extérieur.

Après les attentats de Paris en novembre 2015, le SNPDEN, syndicat majoritaire des chefs d’établissement, a écrit au Premier ministre pour demander une adaptation urgente de la réglementation aux circonstances. Les ministères de l'Intérieur et de l'Éducation nationale ont autorisé, exceptionnellement, les lycéens à fumer au sein des établissements, pendant l’état d’urgence, ce qui fut dénoncé par le ministère de la Santé. En avril 2016, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, d’ailleurs, suspendu la décision du proviseur d'un lycée des Hauts-de-Seine d'autoriser ses élèves à fumer dans la cour.

L’état d’urgence pouvant être levé à l’automne, on comprend qu’à la veille de la rentrée scolaire, le gouvernement se préoccupe de nouveau de la question.

Il est, certes, indispensable de protéger les élèves des risques terroristes, mais il ne faut pas passer sous silence les risques du tabac, qui tue en France plus de 70.000 personnes par an, dont 90 % ont commencé à fumer avant 18 ans. Le gouvernement, en particulier le ministère de l’Éducation nationale, se trouve face à un dilemme. Interdire l’usage du tabac aux élèves, ce qui provoquera des protestations et restera probablement inefficace. Ou limiter les conditions de consommation, ce qui est accepter, de fait, que le fléau s’étende.

Une autre solution dépasserait cette alternative, dont les deux propositions sont insatisfaisantes. Plutôt que d’assouplir la lutte contre le tabagisme pour cause de risque terroriste, ne faudrait-il pas donner un nouvel élan à la prévention ? L’État doit intensifier son rôle éducatif dans la lutte contre les conduites addictives et proposer une aide systématique à l’arrêt du tabac. Une journée mondiale sans tabac existe bien, mais elle est oubliée dès le lendemain. À quand la généralisation de la semaine sans tabac, du mois sans tabac, de l’année sans tabac ?

Mais un pouvoir qui entretient le flou sur la dépénalisation du cannabis et tire un pactole de 15 milliards d’euros par an du commerce du tabac peut-il en avoir la volonté ?

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois