[STRICTEMENT PERSONNEL] Le fauteur de paix

Pauvres « poilus », pauvres pigeons ! Dans leur naïveté, les rescapés qui sortaient, en plus ou moins bon état, mais au moins vivants, de quatre années d’enfer croyaient, ou voulaient croire, d’un côté comme de l’autre, lorsque sonnèrent enfin, le 11 novembre 1918, les clairons de l’armistice, mettant fin à ce que l’on appela pendant les vingt ans qui suivirent « la Grande Guerre », qu’ils avaient participé à « la Der des Ders ».
Grande illusion qui se brisa sur les écueils de la réalité, au fur et à mesure que le succès et la contagion du fascisme et du nazisme, d’une part, la séduction et l’imposture du bolchevisme, d’autre part, faisaient voler en éclats, avec les pactes de bonne volonté négociés par Aristide Briand, et en dépit de ses adjurations pathétiques (« Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! »), le rêve d’une Société des nations.
Rétrospectivement, la guerre de 14-18, malgré un bilan, honorable, de vingt millions de morts, fait aujourd’hui figure de modeste ébauche en regard de celle qui, vingt ans plus tard, devait lui succéder et, après avoir fait entre soixante et quatre-vingt millions de victimes, se terminer sur ce que l’on peut considérer (au choix) comme une apothéose ou une apocalypse, Hiroshima, Nagasaki et les deux cent mille civils japonais rayés le temps de deux éclairs du monde des vivants.
La crainte d'un nouveau cataclysme
Le souvenir du cataclysme, la crainte de sa répétition, dans un format encore plus grand, ont pendant quelques décennies relativement contenu la propension naturelle de l’espèce dite humaine à s’entretuer et limité jusqu’ici les innombrables conflits intervenus à l’emploi des outils de mort dits « conventionnels ». Même les guerres de Corée et du Vietnam, en dépit de leur durée et de leur violence, sont loin d’avoir atteint les scores enregistrés entre 1914 et 1918 ou de 1939 à 1945. Cependant, la crainte ne cesse de grandir que l’on voie l’homme, comme il l’a fait au long de son histoire, recourir sans discernement à toutes les armes dont il dispose, quels que soient leurs dégâts. Les derniers développements de la guerre en Ukraine ne peuvent qu’aviver cette crainte. Le temps et le renouvellement des générations (les derniers survivants de la Deuxième Guerre mondiale savent ce qu’est une guerre ; leurs héritiers, pour la plupart, n’en connaissent que la version édulcorée qu’en donnent la télévision et le cinéma), en affaiblissant le souvenir du désastre, ont contribué, comme nous avons pu le constater ces derniers mois, à éroder puis à ruiner et à disqualifier les structures que les vainqueurs de 1945 avaient fondées, à savoir l’ONU et son Conseil de sécurité, dans le vain espoir de ne pas reconstituer la situation qui avait débouché sur la Deuxième Guerre mondiale.
On laissera aux historiens du futur (si futur il y a) le soin de rechercher les origines et les responsables de la guerre déclenchée par la Russie, le 24 février 2022. S’il n’est pas douteux que Poutine fut l’agresseur, ils partageront les torts plus équitablement que ne le font nos médias et nos dirigeants entre le maître du Kremlin, les Ukrainiens et l’Occident. Étant donné ce que sont, depuis mille ans, les relations difficiles, orageuses, belliqueuses mais également religieuses, culturelles, politiques et biologiques entre ce que l’on appelait autrefois les Grands-Russes et leurs frères slaves, on devrait comprendre que la récente amputation d’une partie historiquement constituante de son territoire est quelque chose d’aussi douloureux à l’échelle de l’Empire russe que le fut, pour la France, la perte de l’Alsace-Moselle en 1871. Le patriotisme, le nationalisme, le désir de récupérer la province perdue ne sont pas différents chez le président russe de ce qu’ils étaient chez Poincaré, Clemenceau ou Barrès. Ils ne pouvaient qu’être condamnés dans un monde qui n’est plus le même et qui prétend, alors qu’il est toujours dominé par la ruse et la force, n’être régi que par le droit international et celui des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Qui aurait prédit, il y a trois ans, que la guerre d’Ukraine durerait encore trois ans plus tard et que la Russie serait privée de la victoire facile qu’elle escomptait par l’intervention massive des pays de l’Union européenne, des États membres de l’OTAN, et notamment des États-Unis ? Sans donner à l’Ukraine les moyens de vaincre, cette assistance lui a permis de résister. Sans aller jusqu’à empêcher la Russie de remettre la main sur les portions de l’Ukraine qu’elle estimait lui appartenir, elle l’a jusqu’à présent empêchée d’aller plus loin et de triompher de la résistance héroïque d’un peuple galvanisé par un président-comédien devenu un héros national.
L’élection de Donald Trump et sa volonté d’arrêter l’effusion de sang et de désengager son pays du bourbier où son prédécesseur démocrate l’avait enlisé a, du jour au lendemain, changé la donne. Le traitement que le nouveau président de la première puissance mondiale a infligé au malheureux Volodimyr Zelensky est indigne et a légitimement indigné le monde, mais certains donneurs de leçons et professeurs de morale surjouent l’indignation.
Un instant de paix ?
Donald Trump s’est révélé, sous les yeux du monde stupéfait, fidèle et égal à lui-même. À ses promesses. À son image. À sa méthode. Un cynique, un goujat, un brutal, pour ne pas dire une brute. En même temps, la seule personne au monde à la fois capable et désireuse d’arrêter le carnage, de proposer à la Russie une solution honorable qui lui permettrait de réintégrer le concert des nations en la libérant de l’influence chinoise et d’imposer à l’Ukraine exsangue, sacrifiée sur l’autel de la paix, une paix humiliante qui la sauverait de l’anéantissement. Pas trace de sentiment dans le marché proposé aux belligérants. L’Amérique de Trump n’est plus celle qui intervenait bénévolement aux côtés des démocraties en 1917. Moins, encore, celle qui, après sa victoire de 1945, finançait la reconstruction de l’Europe qu’elle avait surabondamment bombardée. Elle entend, ô scandale, se faire payer à proportion des services qu’elle a rendus et mettre chacun devant ses responsabilités et en face de la réalité.
Les actuels dirigeants de l’Europe, si le terme de « dirigeants » est bien le bon, n’ont pas manqué de stigmatiser, au nom de la vertu et des bonnes manières, le fauteur de paix. Émerveillés de leur propre courage, cherchant dans la surenchère la popularité qui leur manque, prisonniers de leurs rodomontades et, pour certains, croyant compenser par l’injure, la menace et la caricature leur manque de crédibilité, ils se lancent et nous lancent sur une voie aussi dangereuse à terme qu’irréaliste dans l’immédiat. Au moment même où Trump veut et va vers l’apaisement, les vingt-sept, ou la plupart des vingt-sept, entraînés par M. Macron et Mme von der Leyen, le premier espérant retrouver une légitimité perdue, la seconde s’arrogeant une légitimité que ne lui confère aucun texte, sont sommés de se rallier à une politique dite d’économie de guerre dont ils n’ont pas les moyens, dont ne veulent pas les peuples et qui est supposée nous permettre de faire jeu égal avec la Russie, à la roulette atomique et sur le champ de bataille conventionnel d’ici cinq à dix ans, au prix du marasme économique et de la tension internationale. C’est ce qu’on appelait, à la veille de la Première Guerre mondiale et dans les années 1930, applaudie par les « marchands de canons », les militaires, les experts, les philosophes du petit écran et les foudres de guerre, la course aux armements. Nous savons à quoi elle a mené, nous devinons où elle nous mènerait. En attendant le pire, devons-nous nous satisfaire du sursis de cinq à dix ans qui nous est accordé ? Un instant de paix, disait Giraudoux dans La guerre de Troie n’aura pas lieu, c’est toujours bon à prendre.
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131 commentaires
Héros national ? Quand les ukrainiens feront le bilan il sera consideré pour ce qu’il est : un clown déguisé en dictateur.
Rares sont les observateurs de la géopolitique actuelle capables de mettre sur la table une raison profonde du deal Poutine-Trump. Cette raison c’est une convergence civilisationnelle et anthropologique. Papa et Maman contre Parent 1 et Parent 2. Et tant pis pour les woke et les LGBTQI++++ (et tous leurs idiots utiles de Bruxelles et d’ailleurs) qui ne feront jamais le poids face à la Chine et à la conquête islamiste.
Le Traité de l’Atlantique Nord bientôt sans les Américains ? La bombe atomique n’a pas empêché les guerres depuis 1945 , la liste est longue , la dernière se déroule en Ukraine .
Pour faire la guerre il faut avoir une économie riche , très riche , la guerre coûte très cher ; et surtout il faut avoir des hommes et des femmes pour aller mourir au combat , il y a un problème sur cette dernière condition , en Europe , mais aussi en Ukraine (nombre d’Ukrainiens à l’étranger depuis le début du conflit) , et aussi en Russie (mercenaires de la Corée du Nord).
Et le pays le plus riche de la planète , avec l’armée la plus puissante du monde , ne veut plus risquer la vie de ses “boys” , son nouveau Président a été très clair sur ce sujet .
Et notre Tartarin national joue les Churchill de théâtre .
Avant 1991, Tbilissi, Odessa et Kiev étaient des régions ukrainiennes et russes et personne n’en faisait un fromage et Ils sont tous slaves. Ils devraient donc se réunifier et stop.
Macron devrait s’occuper de nos corses au lieu de donner des leçons lacunaires et surabondantes pour tout ce qu’il ignore dont l’histoire et la vie.
Monsieur JAMET confond les postures et la réalité.
La seule réalité française est que donner des leçons de banalité(les gentils et les méchants de Macron) et se montrer arrogant quand on est impuissant n’arrange pas les choses, et pour la réalité des autres, que les belligérants semblent vouloir une paix qui mérite qu’on s’y attarde au lieu d’envoyer des gens mourir et encore et de mettre de l’huile sur le feu à l’aise dans son abri antiatomique, suivez mon regard vers le Touquet!
Décidément, M. Jamet voudrait nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Parler de Trump comme d’un « fauteur de paix », alors qu’il a déclenché un séisme sidéral sur la planète en menaçant la terre entière si elle ne se livrait pas à ses caprices de puissance autoritaire débridée, à commencer par sa volonté d’annexion du Canada, rien que ça, celle de la conquête « à tout prix et par tous moyens » du Groenland pacifique, de sa captation impérieuse et impériale du droit reconnu du Panama à disposer de lui-même, du cynisme public et humiliant d’un chef d’État en guerre subie, « président-comédien » comme vous l’en rabaissez, édulcorer la responsabilité entière du tsar soviéto-nostalgique Poutine dans le drame ukrainien par de sybillines allusions rejoignant le narratif russe mensonger, lui-même repris en cœur par votre « fauteur de paix » ?
C’est aussi oublier que ce « fauteur de paix » entend déporter l’entière population civile de Gaza en ruines au prétexte d futur projet illusoire d’une « Floride méditerranéenne des casinos », pour mieux autoriser les troupes meurtries à bon droit de M. Netanyaou nettoyer « jusqu’à la mer » et sans dégâts collatéraux ceux qui restent des terroristes inhumains et indéfendables du Hamas.
C’est oublier les promesses de la volonté du « fauteur de paix » d’aller écraser sous les droits de douane ses plus fidèles amis, alliés ou concurrents s’ils hoquètent à son siège dominateur et conquérant du bazar mercantile de porcelaine chinoise.
C’est oublier le rôle qu’il a assumé de confier à Musk de karchériser, l’ensemble de l’Administration américaine jusqu’au dernier technicien de surface, dans son empire continental où l’on tait sans pudeur la résilience d’une honteuse pauvreté de laissés-pour-compte.
Oui M. Jamet, les circonvolutions journalistiques laissent parfois le lecteur dubitatif. Mais c’est votre droit d’éditorialiste de pouvoir penser le contraire.
« on devrait comprendre que la récente amputation d’une partie historiquement constituante de son territoire est quelque chose d’aussi douloureux à l’échelle de l’Empire russe que le fut, pour la France, la perte de l’Alsace-Moselle en 1871. Le patriotisme, le nationalisme, le désir de récupérer la province perdue ne sont pas différents chez le président russe de ce qu’ils étaient chez Poincaré, Clemenceau ou Barrès »
Poutine comparé à Poincaré, Clémenceau ou Barrès !!! Waahh ! Même pas peur de raconter n’importe quoi le Jamet !
Le sophisme érigé en art ! Comparer la conquête de l’Alsace Lorraine par l’Allemagne qui a été réalisée dans la violence et la séparation de l’Ukraine de la Russie réalisée par un référendum dans un cadre pacifique est tout simplement malhonnête. Je m’interroge sur le fait de savoir pour qui roule M. Jamet…
Parfaitement en phase avec vos propos.
Vous avez dit l’essentiel. Au sein d’une profession majoritairement hostile à ses thèses, M Jamet, à la plume exercée, s’en est toujours tenu à de prudentes circonvolutions.
Mais contrairement à vous, je ne m’interroge plus aujourd’hui sur le fait de savoir pour qui il roule…
Je souscris au commentaire signé ‘Rexgurald’ le,8 mars à 18h34.
Pas un mot sur celui qui veut conduire notre Pays dans un conflit envers la Russie… Le cynisme est aussi de ce coté…Prenant les citoyens pour des moutons…
Un très bel article ,cependant je constate que M Trump n’engage toujours pas son pays sur le sentier de la guerre armée,tout comme il l’avait déjà fait lors de son premier mandat ,ses systèmes offensifs et défensifs demeurent de nature économique.
Les arguments des Américains ne sont pas que d’ordre économique. Ils sont également militaires. Le budget militaire américain est près de 4 fois celui de la Chine et près de 8 fois celui de la Russie. Et ça Poutine le sait très bien…
La Grande Guerre s’est rappelée à nous, « les Croix de bois », » Ceux de 14″, Giraudoux ( malgré l’ambiguïté), on aura un aperçu de l’enfer que l’atome peut reléguer à une partie de campagne. Je rejoins finalement le camp de la paix. La Russie est éternelle, poutine est de passage. Au fond, c’est lui qui a fait naître L’Ukraine et sans les secrets de l’arme atomique volés par Staline aux USA, la France pouvait aujourd’hui avoir raison de l’armée rouge, incapable devant L’Ukraine. Curieux aussi de voir un Zelinki si subtilement politique, un Trump si pacifiste, mettant son beurre avant ses canons et un Macron imbattable de mediocrite.