Sarkozy et l’affaire des fonds libyens : qui manipule qui ?

La nature humaine est ainsi faite qu’on accorde plus facilement crédit à ceux qu’on aime qu’à ceux qu’on n’aime pas. Dans cette affaire, faut-il se fier à Nicolas Sarkozy, au juge Tournaire ou aux révélations de Mediapart ? Il serait plus sage de s’abstenir de prendre parti.

L’ancien président de la République dénonce une "machination d’une ampleur inédite", mais les mensonges d’État ont, de tout temps, existé. Une instruction, codirigée par un juge proche du Syndicat de la magistrature, à la réputation de Saint-Just, peut susciter des soupçons. Enfin, il ne suffit pas d’affirmer, comme Edwy Plenel, qu’on est un journaliste d’investigation, pour s’ériger en modèle d’impartialité, en gommant ses convictions d’ancien trotskiste.

Nicolas Sarkozy, mis en examen dans le cadre d'une enquête sur un éventuel financement de sa campagne de 2007 par le régime Kadhafi, n’a pas attendu longtemps pour contre-attaquer : d’abord sur TF1, puis, ce dimanche, dans le JDD. Il vise trois groupes d'individus qui, selon lui, ont "intérêt à [le] salir" : "une bande d'assassins" qui entouraient Kadhafi, "les gens de Mediapart et leurs comparses" qui se comportent en militants politiques, "les affidés du régime déchu de Kadhafi".

D’aucuns rappelleront, l’air entendu, qu’il n’est point de fumée sans feu, qu’en 2007, le chef de l’État reçut Kadhafi en grande pompe à l'Élysée. D’autres, qu’il mena, en 2011, une coalition militaire internationale contre la Libye, sous l’égide de l’ONU, preuve qu’il voulait en finir avec cette dictature. D’autres, encore, que la coalition n’empêcha guère qu’on lynchât le dictateur, que l’anarchie régna dans le pays et qu’en résulta un afflux de migrants. Dans tout cela, il y a sans doute du vrai.

On pourrait aussi relever que le président syrien Bachar el-Assad fut invité par Nicolas Sarkozy au défilé du 14 juillet 2008, pour s’en offusquer ou, au contraire, regretter que la France n’ait pas poursuivi le dialogue avec lui. En matière de politique internationale ou de diplomatie, personne n’est à l’abri d’une erreur de jugement ou d’arrangements politiques, petits ou grands, sans compter les juteux contrats commerciaux, qui effacent les derniers scrupules. Que dire, aujourd’hui, des relations de la France avec des pays comme l’Arabie saoudite ?

Quoi qu’on pense de cette affaire quelque peu rocambolesque de millions qui se promènent dans des valises, il faut avoir beaucoup d’imagination ou de parti pris pour croire que Nicolas Sarkozy puisse y être personnellement impliqué. On voit mal l’ex-chef de l’État, à supposer qu’il eût une telle idée, prendre aussi peu de précautions. Tout laisse à penser, comme il le souligne lui-même, qu’il est victime d’un acharnement. Les médias en sont complices, même s’ils ne font pas office d’accusateurs publics : en commentant des rumeurs ou des hypothèses, ils amplifient leur impact, répandent le soupçon sans apporter de preuves.

La présomption d’innocence est, chaque jour, violée, tout comme le secret de l’instruction : on en dit assez pour porter le discrédit sur un homme, sans en dire assez ni pour le laver de toute suspicion, ni pour prouver sa culpabilité. Quand on constate qu’on revient, plus de dix ans après, sur sa première campagne présidentielle, on se demande si cette affaire n’est pas dénuée d’arrière-pensées et si le souci de la Justice est le seul à la motiver.

Si l’on veut que les Français reprennent confiance en la politique et en la Justice, il faudrait commencer par garantir une Justice sereine : en changeant le juge d’instruction et en arrêtant de médiatiser l’enquête. Méfions-nous des Fouquier-Tinville de tout poil : lui aussi a fini sur l’échafaud !

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Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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