La République amnésique (5) : quand la gauche refusait l’avortement
Durant le mois d’août, Boulevard Voltaire fait découvrir à ses lecteurs un livre récent que la rédaction a apprécié. Chaque jour, un nouvel extrait est publié. Cette semaine, La République amnésique, de Thierry Bouclier.
Personne, en 1974, n’aurait osé soutenir que l’avortement représente une « valeur française » ou un « droit fondamental ». Pas même la gauche, qui a pourtant unanimement voté pour la loi Veil. Selon le socialiste Jean-Pierre Cot, celle-ci "supprime la répression rétrograde de l’avortement pratiqué dans des conditions scandaleuses aujourd’hui et tend à substituer à l’avortement clandestin, avec tous les drames qu’il entraîne, une intervention médicale en milieu hospitalier, en attendant le jour où l’avortement pourra enfin être considéré comme une pratique aussi barbare que l’infanticide. Mais nous savons que ce jour ne viendra pas seulement parce que nous l’aurons décidé. Nous savons qu’il faudra attendre longtemps pour que la contraception entre dans les mœurs et que ce n’est qu’à partir de ce moment-là que nous aurons enfin vaincu le drame de l’avortement."
Avortement synonyme de barbarie et de drame ! C’est la pensée d’un socialiste favorable à la loi Veil en 1974. Et ce n’est pas tout. Le même parlementaire n’hésite pas à dire : "Certes, il faut faire reculer l’avortement, mais pas au moyen d’une législation rétrograde. Il faut, dans le cas des drames individuels, accueillir, soutenir, trouver des solutions, délivrer de l’angoisse. Oui, sur le problème de la natalité, il convient d’adopter une politique familiale très audacieuse. Mais si l’avortement – et nous sommes tous d’accord sur ce point – ne doit jamais être un moyen de contraception, la répression de l’avortement ne doit ni ne peut être l’instrument d’une politique nataliste."
Même son de cloche chez les députés communistes. Écoutons Jacqueline Chonavel : éL’avortement, clandestin ou non, est un mal, qui devra disparaître un jour… C’est toujours un drame d’en arriver à la solution extrême de l’avortement…"
Membre du Parti radical-socialiste, Jacqueline Thome-Patenôtre ne défend pas un autre point de vue : "Il est inutile de redire combien ce débat est fondamental. Mais il me paraît fondamental de préciser d’emblée qu’aucun d’entre nous, s’il vote demain l’abrogation de la loi de 1920 et le texte qui nous est proposé, n’est favorable à l’avortement, qui doit rester un ultime et exceptionnel recours… Lutter contre l’avortement – chacun en convient –, c’est développer les équipements sociaux, crèches, haltes-garderies, écoles maternelles ; c’est entourer les mères, et plus encore si elles sont seules, d’un réseau social qui les aide efficacement et les encourage. C’est encore faciliter l’adoption à l’âge le plus bas possible et en évitant les complications juridiques actuelles. C’est enfin aider les familles longtemps après la naissance de leur enfant sur le plan financier et par l’organisation d’un système éducatif diversifié et accueillant."
Barbarie. Drame. Exceptionnel recours. Politique nataliste audacieuse. Ainsi parlait la gauche en 1974. Un discours que la droite, voire l’extrême droite, n’oserait plus tenir à notre époque. La lecture de ces débats révèle l’évolution en une génération. À cette époque, la gauche faisait un constat : l’avortement est un drame. Un mal.
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