Remettons à l’honneur les humanités !
Marie d’Armagnac a justement souligné, dans ces colonnes, la réaction plus que surprenante de Dan-el Padilla Peralta, brillant universitaire, latiniste et helléniste. Le « wokisme » a trouvé une nouvelle tête pensante pour justifier des théories qui contredisent le parcours de cet universitaire. En effet, si les humanités, l’apprentissage du latin et du grec étaient synonymes de domination blanche, ce même monsieur Peralta n’aurait pas pu accéder à tout ce savoir et aux différentes chaires prestigieuses auxquelles il fut convié.
Et là, je me suis souvenue d’un film américain, sorti en 1994 sur nos écrans, titré en français Opération Shakespeare, Renaissance Man en anglais. Un publicitaire, joué par Danny DeVito, au chômage, part donner des cours à des soldats jugés inaptes intellectuellement. Sur ces huit soldats, quatre sont blancs et quatre sont noirs, dont Miranda, la seule fille du groupe. Ils sont tous issus de milieux très modestes avec des situations familiales plus que chaotiques et sont parfaitement représentatifs de ces milieux défavorisés. Ils se sont engagés pour avoir une stabilité comme l’armée sait en donner. Leur professeur tâtonne avec eux, ne sachant comment les prendre. L’un d’entre eux le voit avec un livre et demande ce que ça raconte. Il s’agit d’Hamlet, de Shakespeare. Il est intéressant de noter la réticence du publicitaire, qui ne sait pas si ça va leur plaire, et de voir la réaction des soldats : « Quoi, vous pensez qu’on est trop bête pour comprendre ? » Le publicitaire va donc leur faire étudier la pièce de théâtre. Et il va les captiver. On peut penser de ce film qu’il s’agit d’une énième comédie américaine, « Shakespeare chez les bidasses US », mais c’est, au fond, bien plus que ça. Ces soldats, jugés inaptes au départ, vont faire d’énormes progrès, en plus de former un groupe bien à eux.
Et comment ? Parce qu’ils font justement leurs humanités. Certes, ils n’étudient pas le latin et le grec ; mais Shakespeare est un auteur qui s’est lui-même inspiré des auteurs anciens. Et ce film confirme ce que disait Barbara Cassin, philosophe et helléniste, dans les colonnes du Nouvel Économiste, en 2014 : « Les humanités ne servent à rien en particulier, mais elles peuvent être utiles à tout » parce qu’elles forment l’esprit au discernement et à la critique (au sens grec du terme, qui signifie « jugement »). Et l’homme qui a fait ses humanités, en plus de savoir penser, accède à quelque chose d’universel et d’intemporel quelles que soient la culture, la langue, ou l'origine… Homère, Virgile, les chansons de geste médiévales, Shakespeare, Dante, Cervantès, Du Bellay et tant d’autres parlent toutes les langues parce qu’ils s’adressent à l’esprit et à l’âme.
Une scène de Renaissance Man aurait mérité de devenir culte. Sur l’ordre de son sergent, un des soldats du groupe, Benitez, déclame, sous une pluie battante lors d’un exercice de nuit, la tirade de la Saint-Crépin, tirée de la pièce Henry V, du même Shakespeare. Et tout le monde écoute, subjugué… Shakespeare n’a pas écrit pour l’armée américaine mais son texte dépasse le temps, le lieu… et les hommes, quelle que soit la couleur de leur peau. Sur ces huit soldats, aucun ne sera laissé pour compte. Monsieur Peralta et tous les déconstructeurs devraient s’en inspirer… avant d’avancer des théories que même Hollywood a démontées dans ce film.
Alors, on pourra toujours rétorquer que c’est justement une jolie fiction et que la réalité est tout autre. Pas sûr ! La découverte des classiques est parfois une belle révélation pour certains lecteurs et beaucoup ne demandent que ça. Ne privons donc personne de ces richesses. Remettons à l’honneur les humanités !
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