Ylva Johansson est la commissaire européenne en charge de la sécurité et de la migration. Sa mission comprend la lutte contre la migration irrégulière et contre le terrorisme, des sujets sur lesquels les citoyens attendent l’Europe au tournant. Mme Johansson a de la chance, elle dispose d’un outil de taille pour mieux contrôler les frontières européennes. Il s’agit de Frontex, une agence européenne qui coordonne des gardes-frontières d’autres pays européens et les déploie aux endroits les plus sensibles. Une sorte de solidarité entre États membres, l’agence aidant les pays à mieux garder leurs frontières qui sont aussi celles de l’Union. Après la crise migratoire de 2015, Frontex a été considérablement renforcée et devrait coordonner 10.000 gardes-frontières dans les prochaines années. Dans cette décennie maudite pour l’Union, Frontex est l’un des succès dont elle peut se vanter, à juste titre.

Mais voilà, Mme Johansson est une vraie sociale-démocrate. Elle fut même une jeune députée communiste du Parlement suédois quand le mur de Berlin tombait. Elle fut ensuite ministre des Affaires sociales et se distingua par certaines déclarations qui laissaient deviner une vision pour le moins idéologique de la migration et de l’intégration dans un pays qui, pourtant, pâtit de problèmes structurels en la matière. Le contrôle de la migration est l’un des sujets les plus clivants et épineux en Europe depuis 2015, en partie à cause de l’approche dogmatique et autoritaire de la Commission qui tenta d’imposer des quotas de migrants. En vain. Cette politique ne résolut en rien le problème de l’engorgement des frontières extérieures et cliva davantage les États.

Quand von der Leyen prit les manettes de la Commission, fin 2019, le dossier migratoire était au point mort et la présidente opta pour une approche plus pragmatique. Elle proposa, un an plus tard, un Pacte pour la migration et l'asile qui enterrait l’idée des quotas et mettait le contrôle des frontières et le retour des immigrés clandestins au cœur du nouveau projet. Une nouvelle orientation qui ne fut pas du goût de la commissaire Johansson. Mais elle fit avec. En attendant, elle s’est bien rattrapée en pondant, en novembre, un plan d’action sur l’intégration et l’inclusion qui ne mentionne même pas le terrorisme islamique. Quelques semaines après la décapitation de Samuel Paty, cela en dit long. Rebelotte, en décembre, avec une stratégie sur le terrorisme qui n’est guère plus convaincante.

Mais voilà, dans la bulle bruxelloise, la migration est la chasse gardée des ONG et des députés européens les plus idéologiques. Et cette cour influente a une bête noire. Devinez ? Frontex, évidemment, qui, loin de saisir que la migration est une chance, et une chance seulement, se borne à contrôler bêtement les frontières et tient tête à la « société civile » qui facilite la migration irrégulière parfois en connivence avec les trafiquants.

Après le nouveau Pacte sur la migration et l'asile, il fallait bien rééquilibrer la balance, non ? Autant lancer une campagne contre Frontex. C’est chose faite, depuis quelques semaines. Quelques médias allemands (ARD, Der Spiegel) et quelques ONG ont lancé une croisade contre l’agence et contre son directeur, le Français Fabrice Leggeri. Johansson s’est, naturellement, engouffrée dans la brèche.

L’occasion était toute trouvée : ces médias et organisations reprochent à Frontex d’avoir refoulé des demandeurs d’asile et, dès lors, d’avoir violé leurs droits fondamentaux. Allégation classique. Des faits avérés ? Non, justes avancés par des ONG et qui font l’objet d’une enquête préliminaire. Mais suffisant pour que la commissaire se change en sniper contre son propre camp et tire les ficelles à coups de filtrations dans la presse, d’enquêtes administratives et de déclarations hypocrites pour présenter à sa cour d’ONG la tête de Leggeri sur un plateau d’argent.

Une campagne si bonnement orchestrée qu’elle en devient grotesque. Sauf dans la bulle bruxelloise qui, par pur arbitraire idéologique, se braque dès que les mots « frontières », « contrôle », « retour forcé » ou « terrorisme » sont associés au mot « migration ». Plus que du mauvais goût, un crime de lèse-idéologie. Ne laissons surtout pas la réalité ou la volonté de la majorité des citoyens gâcher une belle histoire !

La campagne bat son plein. Leggeri compte encore avec le soutien des États mais la pression redouble. Quel spectacle affligeant que de voir la Commission en général et Johansson en particulier saboter l’un des rares outils européens qui commence à faire ses preuves en la matière. Le leur, qui plus est ! La Commission se veut messianique et non pragmatique sur un sujet sur lequel se joue l’avenir de l’Union européenne. Et, dès lors, la question se pose : une Commission qui fuit ses propres responsabilités est-elle la mieux placée pour piloter cette politique ? Question ouverte, mais en tout cas, il est certain que Ylva Johansson est une erreur manifeste de casting. Une de plus. À quel prix ?

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30 janvier 2021 à 10:00

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