En sept ans, le chaos du monde arabe a traduit un bouleversement de l'ordre du monde. En 2011, une vague de contestations populaires ébranle la plupart des pays arabes. Une formule trompeuse couvre ces événements, "le printemps arabe", qui exprime l'illusion d'un nouvel élan démocratique irrésistible, comparable à celui qui déclencha l'effondrement du bloc soviétique en 1989.

Sept ans plus tard, le réveil est douloureux. La méprise aura été totale, et la prise de conscience des erreurs commises peut même conduire à une remise en question des valeurs qui ont nourri nos illusions. La lutte entre le bien, la démocratie libérale et le mal, la dictature sous toutes ses formes, cachait des réalités plus fines, d'ordre culturel. L'islam ne sépare pas la religion de la politique et du droit. C'est une foi conquérante qui veut soumettre les comportements des individus et l'organisation des sociétés. Elle peut, certes, être attiédie, mais ses fondements sont aux antipodes du christianisme. Le royaume musulman est bien de ce monde. Il n'y a place ni pour la liberté ni pour l'égalité. Le statut des femmes éclaire cette différence fondamentale. Par ailleurs, de grands pays, comme la Russie, la Chine ou l'Inde, ont une taille et une histoire qui garantissent leur identité, qui ne pourra être facilement noyée dans le modèle occidental. Ces deux vérités négligées éclairent les faits. Les Frères musulmans n'ont rien de commun avec la démocratie chrétienne. L'islamisme militant de Morsi a rapidement déçu les Égyptiens. En Libye et en Syrie, l'islamisme a joué un rôle prédominant dans l'irruption de la guerre civile. Enfin, la Russie n'a pas lâché son allié syrien, comme elle n'a pas accepté l'évolution de l'Ukraine.

Aussi la situation s'est-elle inversée. Vladimir Poutine est le modèle accompli du chef d'État de pays que les progressistes occidentaux appellent dédaigneusement des démocraties illibérales, de même qu'ils dénoncent le populisme des peuples qui s'opposent à leur vision du monde. Or, le président russe a gagné sur le terrain en maintenant Bachar el-Assad au pouvoir et en l'aidant à reconquérir le territoire. Il est le seul qui puisse aujourd'hui parler à tous les acteurs de la région, comme si la cohérence et la continuité de son action le plaçaient au-dessus des contradictions et des impasses qui se sont multipliées sur le terrain. Les Américains ont armé les Kurdes, plutôt "communistes", de l'YPG contre l'État islamique, mais cela a entraîné la crainte puis la fureur des Turcs, qui les considèrent comme des terroristes. L'allié occidental privilégié en est arrivé à exiger des soldats américains qu'ils se retirent de Syrie pour ne pas gêner son action. Les Kurdes, qui ont été la chair à canon des Occidentaux, acceptent mal qu'une fois encore on les sacrifie. Le président russe, dont les troupes sont sur le sol syrien à la demande du gouvernement légal, doit sourire de cette division entre intrus et rebelles, ex-alliés contre Damas. Par ailleurs, la compétition sanglante entre chiites et sunnites, entre l'Iran et l'Arabie saoudite, tourne en faveur des premiers. La montée en puissance du Hezbollah libanais éveille les craintes d'Israël. Vers qui se tourne Netanyahou ? Vers qui se tournent les monarchies pétrolières, elles-mêmes divisées ? Mais vers Poutine, le grand allié de l'Iran, désormais en excellents termes avec la Turquie, qui conserve du passé des relations privilégiées avec les Kurdes, et est devenu l'interlocuteur le plus sérieux de la plupart des pays arabes sunnites, comme l'Égypte.

Hier, c'est Miloš Zeman qui a été réélu président de la République tchèque, un ami du président russe, contre le candidat préféré des Européens et des progressistes. Si le printemps arabe n'a été qu'une illusion, la marche triomphale de la démocratie libérale a laissé place à un grand doute sur elle-même. La fracture essentielle, aujourd'hui, se situe peut-être en Occident, entre le monde de Davos et celui de la périphérie qui a élu le président tchèque.

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29 janvier 2018 à 10:16

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